LES SOUVENIRS DE PAUL GILLON 3/5
« IL SE PASSE QUELQUE CHOSE DE FORMIDABLE
DANS MÉTAL HURLANT. JE VEUX EN ÊTRE ! »
Après avoir passé des années au cœur du monde du spectacle, se retrouver seul devant sa planche à dessin n’a pas été trop pénible ?
Je garde une grande nostalgie de tout ce qui fut travail d’équipe. Ainsi la formidable aventure que vécurent quelques dessinateurs de France-Dimanche. Au début des années soixante, son directeur, Max Corre, a fait de cet hebdo un journal d’actualité basé sur le dessin et la B.D. Pour cela, il a recruté des gens comme Poïvet, Uderzo, Gillon, etc. Il arrive alors un des miracles qui se produisent parfois dans la presse : nous dessinions le journal en une nuit. Du délire. Mais un délire remarquablement organisé. Le mercredi, dès 19 heures, les dessinateurs sont tous mobilisés chez eux, devant leur téléphone. À 20 heures, 21 heures au plus tard, sonnerie. C’est la rédaction : « Rapplique, on a un sujet pour toi ! » Quelques minutes plus tard, une Traction avec chauffeur s’arrête en bas de notre domicile. Arrivé à la rédaction, on passe deux à trois heures à peaufiner le sujet, trouver des documents, décider du nombre de dessins, etc. Tout ça bien sûr avec force sandwichs, bières et alcools. Puis une voiture nous ramène à domicile. Nous travaillions toute la nuit. À onze heures le lendemain, une voiture vient ramasser les dessins. Dernières retouches à l’imprimerie et le journal sort le lendemain. Et Max Corre paye admirablement bien ! Le grand bonheur… C’est vraiment le journalisme que j’aime et que l’on rencontre de moins en moins. J’ai revécu ce genre d’émotions quelques fois. Ainsi lorsque Libération me demande d’illustrer l’affaire du Rainbow Warrior. Tout le monde sur le pont ! Je leur fait des croquis, on met au point le découpage de l’action, je rentre chez moi travaille douze heures, revient livrer… J’aime ces défis qu’on lance au temps, ces événements qui vous forcent à vivre l’action dans l’immédiat. J’adore être obligé de passer l’obstacle sans avoir le temps de la réflexion.
Vous n’avez jamais connu cela dans la BD ?
Une fois. Lorsqu’une équipe de dessinateurs a décidé de vivre indépendamment des éditeurs conventionnels. La révolution, quoi ! Mandryka, Bretécher et Gotlib tracent la voie dès 1972 en lâchant Pilote pour créer L’Écho des Savanes. En décembre 1974 paraît le n°1 mythique de Métal Hurlant, mensuel fondé par Giraud, Druillet, Dionnet, etc. J’observe, l’œil curieux. Je sens qu’il se passe quelque chose de formidable. Et qu’il faut en être. Je vais leur dire : « Je voudrais travailler avec vous ».
Le choc des générations…
Ils ont la trentaine. J’ai largement dépassé la quarantaine. Raison de plus ! Je me sens prisonnier d’un métier devenu conventionnel. Il y a autre chose à faire. J’ai enfin arrêté 13 rue de l’Espoir dans France-Soir (1959-1972 :13 ans ça suffit), son directeur du moment, Paul Winkler, fait des misères à mes Naufragés du temps que le journal prépubliait depuis leur début. Winkler veut m’imposer des conditions que je refuse. Je suis donc libre.
Quel est l’accueil des Humanos ?
Dionnet me dit : « Quand tu veux ». Je réponds : « Tout de suite ». Je suis heureux d’être avec eux. En même temps, la différence d’âge est là. Je me sentais accepté, toléré – même mieux que ça par moment – mais je reste une pièce rapportée, pas totalement libéré. Plus tard je participe à la vie du journal, discute avec Dionnet, intervient sur certains choix. Hélas, Métal commence à être en perdition, et les Humanos en passe d’être rachetés par les Espagnols. Ça se termine très mal pour moi. J’ai choisi une famille et je vais me retrouver avec un père putatif que je n’ai pas choisi. Pas mon genre. Ça a bardé ! Et je suis parti. Mais je garde le souvenir heureux d’années de folie pure, énorme, divine. Dionnet nous entretenait dans un état d’exaltation perpétuelle. Tout était remis en cause à chaque instant. Le programme des publications était démentiel. Il y avait toujours cinq ou six dessinateurs présents. Et Dionnet au milieu…
Ce brassage avait-il une influence sur les œuvres de chacun ?
On avait une réaction critique immédiate sur le travail des autres. Le timbre de la voix était aussi important que ce qu’on disait. Ou ce qu’on n’osait pas dire… Et même si l’auteur critiqué décidait de faire la sourde oreille, je crois qu’inconsciemment, il en tenait compte. Et Dionnet poussait sans cesse à la roue. il relançait Giraud – alors en plein Blueberry – pour qu’il fasse enfin un truc pour Métal. Après tout, il en était un des fondateurs ! A la fin, Jean a inventé sur le tas le Major Fatal et dessiné rapido une page. Retoqué par Dionnet, il en a improvisé une seconde pour le numéro suivant. Puis une autre, puis une autre… le hasard est devenu une nécessité et le Major Fatal un classique.
SUITE : « Je deviens scénariste. À côté, le dessin c’est facile ! »
Autres dossiers : 1/5, 2/5, 4/5, 5/5
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