Les Temps mauvais
La guerre est tout sauf romantique, et Carlos Giménez (Pepe) s’acharne à le démontrer de manière vibrante. Dans Les Temps mauvais, Madrid 1936-1939 — réédition en un gros et beau volume par Fluide Glacial de quatre tomes inédits en français —, le « Goya de la bande dessinée » se penche sur la guerre civile espagnole.
L’album est agrémenté d’un entretien avec l’auteur, d’une postface très fournie de Phil Casoar, et d’une rapide chronologie de la guerre d’Espagne. Pionnier de l’autofiction en BD (Paracuellos évoquait son enfance dans les internats de l’assistance publique ; Barrio, son adolescence dans les quartiers populaires de Madrid), Giménez délaisse ici son propre passé dans l’Espagne franquiste. Il préfère explorer la racine du mal, en évoquant le conflit qui opposa fascistes et démocrates en Espagne entre 1936 et 1939.
Marcellino, ouvrier madrilène et partisan de la Gauche républicaine, lui sert de fil conducteur pour conter les bombardements, la faim, les enfants squelettiques, les cadavres dans les rues, les « promenades » (enlèvements de personnes qu’on allait exécuter à l’écart), les trahisons, la phtisie (qu’on n’appelait pas encore tuberculose). L’horreur est tellement poussée que certaines scènes tiennent du conte horrifique fantastique : une mère nourrit un petit voisin affamé avec le chat de son fils ; un enfant atteint de tuberculose meurt de terreur face au prêtre venu lui administrer l’extrême-onction.
Le souffle dramatique du scénario est porté par un noir et blanc précis, propre à émouvoir. L’outrance des traits des personnages répond à celle des situations sans verser dans la caricature. La virtuosité et l’expressivité démesurée du dessin évoquent certaines planches un peu tristes de Gotlib, celui-là même qui fit connaître Giménez en France. L’ensemble forme un tableau flamboyant et désespéré de la guerre d’Espagne, un album magistral.
Publiez un commentaire