L’Été des charognes
Vivre à la campagne, c’est vivre au grand air, mais au quotidien, c’est aussi respirer l’ennui autant que la bière tiède, les usines d’engrais et les carcasses de brebis. Alors, quand on est ado pendant les grandes vacances, on s’occupe, on trime pour des parents toujours trop occupés à faire autre chose, on se prend des torgnoles pour rien, on s’entasse avec les copains devant la seule télé du bled, on joue aux grands en fumant et en buvant en douce… Et quand la rentrée arrive, c’est la même chose, avec l’interminable trajet pour le bahut en plus et les tensions de cour d’école. Mais c’est aussi une porte ouverte vers l’émancipation, ou vers un gouffre.
Pour sa première bande dessinée, Sylvain Bordesoules propose une vraie claque. Une lecture qui vous prend aux tripes et vous reste des jours durant, par sa justesse, sa violence, sa vision. Le jeune auteur s’appuie en effet sur la prose brutale et magnifique de Simon Johannin, dont le livre éponyme (Allia, 2017) avait déjà été remarqué par la critique. Mais il ne fait pas que l’illustrer, il lui donne chair et corps d’une manière éclatante. Avec toute une palette de feutres à alcool, donnant une atmosphère colorée palpable comme un mélange d’aquarelle et de texture numérique, il crée des tableaux réalistes d’un puissance rare, parfaitement en adéquation avec le décor quasi documentaire du texte d’origine. Ce monde rural loin des cartes postales, déserté des services publics et même trop loin des centres d’activité privés, vivant en vase clos dans une misère économique et intellectuelle criante, cette France oubliée et dénigrée, elle vit superbement dans les mots de Johannin comme dans les couleurs de Bordesoules. Et quand le récit à la première personne prend un tour encore plus sombre, dans une spirale de dépression terrible, c’est une deuxième volée de gifles qui arrive. Cela faisait bien longtemps que la bande dessinée n’avait pas produit un livre aussi dur, bouleversant et beau à la fois. Probablement un des tout meilleurs de l’année, à coup sûr, en plus d’être la révélation d’un auteur à suivre de très près.
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