Un homme barbu et un enfant, emmitouflés et bandés par endroits, affrontent une tempête de sable et de poussière dans un paysage hostile. Si l’album débute comme La Route, le roman de Cormac McCarthy brillamment adapté par Manu Larcenet, la suite de L’Héritage fossile prend un tout autre chemin.

L’homme s’appelle Reiz. Avec trois autres astronautes (aux couleurs de peau éclectiques : bleue, violette, jaune… et rouge pour Reiz), il a quitté la Terre à bord d’un immense vaisseau spatial, L’Héritage, afin de rejoindre la planète Geminæ, seule susceptible d’accueillir la vie humaine. Principale difficulté : pas moins de 20 000 ans de voyage sont nécessaires. Afin d’arriver vivants à destination, Reiz et les autres scientifiques se mettent en biostase, un sommeil artificiel préservant leurs cellules. Il ne se réveillent que cinq jours tous les 25 ans, ce qui réduit leur périple à onze années de vie. Des journées qu’ils mettent à profit pour s’occuper de la maintenance de l’appareil, mais aussi des espèces végétales à replanter et des embryons cryogénisés qui leur serviront à créer une nouvelle civilisation. Mais un imprévu sanitaire surgit : au bout d’un millier d’années, les voyageurs s’aperçoivent que le bout de leurs doigts semble se fossiliser… Jusqu’alors en symbiose, les membres de l’équipage vont commencer à se diviser sur l’attitude à adopter.

C’est Reiz qui raconte cela à l’enfant, une fillette de 11 ans prénommée Nova, les chapitres alternant entre leur présent sur la planète désertique et le récit du passé. Un découpage qui fait de l’album un page-turner (et il y en a près de 300 à tourner), tant on a envie à la fois d’accompagner les deux protagonistes dans leur exploration que de connaître les détails qui les ont amenés à cette situation inconfortable. Le fait que le vieil homme soit un poil caricatural ne suffit pas à bouder notre plaisir.

Les planches de Philippe Valette sont épatantes, souvent muettes, avec des effets 3D impressionnants, à des années-lumière de ses dessins au feutre pour Georges Clooney (Delcourt, 2013 et 2014). Le processus graphique a nécessité pas moins de quatre années de travail (soit un peu moins que le voyage intersidéral), entre le découpage, le « posing » 3D des personnages, le dessin des expressions faciales en 2D, la modélisation 3D du décor et enfin l’intégration des personnages dans le décor. Les effets de profondeur, de réalité ou de flou sont bluffants !

Cette maîtrise technique n’aurait qu’un intérêt relatif si ce récit de science-fiction d’anticipation ne posait pas des questions d’actualité très pertinentes sur l’obsession de l’être humain pour la colonisation spatiale. L’être humain a-t-il raison de vouloir perpétuer son espèce ? Quel prix est-on prêt à payer pour cela ? (Environ 50 millions de dollars pour trois jours dans l’espace via SpaceX… Si le chiffre n’est pas précisé dans la BD, elle fait allusion à Elon Musk.)

Cet album à l’atmosphère très sombre, presque irrespirable, est certes beaucoup moins drôle que l’hilarant Jean Doux et le mystère de la disquette molle (Delcourt, 2017). Mais il pose des questions essentielles, aussi brûlantes que le réchauffement climatique, tout en nous confrontant à nos peurs. Que va-t-on devenir, lorsque les conditions de vie sur Terre seront invivables ? L’espèce humaine mérite-t-elle d’être sauvée ? Qu’est-on prêt à sacrifier pour survivre ? Est-on encore humain si l’on détruit des vies pour se sauver, soi ?

Chacun des personnages de L’Héritage fossile apporte une réponse possible. Au fil de la lecture, chacun et chacune posera sa propre limite à ce qu’il ou elle est prêt·e à accepter d’un point de vue éthique. Un album qui résonne longtemps dans la conscience, notamment en raison des révélations finales.