L’Homme miroir
Élise a quitté son mari et son job, et vient de se trouver une maison dans une petite ville anonyme pour y vivre avec son fils. Elle l’a achetée pour une bouchée de pain, mais ne l’a même pas visitée avant de signer… Elle découvre la dépendance d’une grosse demeure bourgeoise, saine mais laissée dans son jus, et pleine des meubles et objets du précédent occupant. Ses parents la rejoignent pour l’aider à aménager l’espace. Et, à travers les tableaux, les courriers, la vieille 2CV du garage, les photos, chacun va fantasmer le destin de l’ancien propriétaire et y projeter ses propres rêves et angoisses…
Dans cet ouvrage gigogne, où des passés imaginaires se mêlent au présent à chaque nouvelle trouvaille dans la maison, il est aisé de se perdre dans les époques et dans les lieux. Tantôt étudiant en art raté partant sur les routes pour faire fortune, tantôt soldat timide jouant à la conquête des colonies, tantôt dandy thésard et accumulateur compulsif d’objets, la figure de cet inconnu évolue de page en page. Et elle se mélange aux propres souvenirs de la mère d’Élise, aux jeux du petit Antoine, et même avec les différentes hypothèses de chacun. Il faut alors prendre le temps de s’immerger dans ces vraies-fausses pistes narratives, comme on prend le temps de scruter un tableau représentant une scène complexe et mystérieuse. Chacun pourra y aller de son interprétation, et bien malin qui pourrait imposer la sienne. Pour mettre en images ce scénario très cérébral, Simon Lamouret (Bangalore, L’Alcazar) use d’un style pictural convaincant, au travail chromatique poussé, tant dans les personnages que dans les décors (papiers peints, nappe, tableaux…). Cet Homme miroir, savamment brossé et reflet des aspirations et frustrations de chacun, est une expérience déstabilisante, parfois chaleureuse dans son touchant portrait de famille, parfois presque surréaliste dans sa structure imbriquée. En cela, il est une bande dessinée ambitieuse et audacieuse, qui ne laisse pas de marbre.
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