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L’Homme qui tua Chris Kyle

15 juin 2020 |
SERIE
L'Homme qui tua Chris Kyle
DESSINATEUR(S)
SCENARISTE(S)
EDITEUR(S)
PRIX
22.50 €
DATE DE SORTIE
29/05/2020
EAN
2205084672
Achat :

D’un côté du ring, Chris Kyle, sniper des Navy Seals, Kyle est officiellement le soldat américain le plus meurtrier de l’histoire, avec 160 tués confirmés. Surnom : « la légende ». De l’autre, Eddie Ray Routh. Engagé dans le corps des Marines comme armurier, Eddie n’a  jamais été au combat, et n’a jamais tué. Surnom : « Gay Ponyboy ». Deux faces d’un même rêve américain : le « winner », et le « loser ».

lhomme-qui-tua-chris-kyle_image1Depuis la fin de sa vie de soldat, Chris Kyle a tout d’un Américain comblé. Menant un train de vie prospère, grâce à sa société de sécurité privée et au succès de son autobiographie, il s’occupe des soldats physiquement ou psychiquement blessés, en les emmenant s’entraîner au tir. Un beau jour, la mère d’Eddie R. Routh, inquiète (même désespérée) pour son fils, le contacte. Car le fait qu’il n’ait pas combattu n’a pas empêché Eddie de ramener de ses « tours » un syndrome de stress post-traumatique qui l’a, lentement mais sûrement, conduit à la folie.

Sauf que sur le stand de tir à balles réelles, sans prévenir, le loser tourne ses armes contre le winner. Ainsi finit, après avoir maintes fois échappé à la mort sur les champs de bataille, « la légende », laissant derrière lui enfants et veuve éplorée (mais pas tétanisée) et un film en préparation à Hollywood (le futur American Sniper, réalisé par Clint Eastwood). Dans l’absurdité la plus totale.

Dans cette histoire vraie, la part de l’ombre finit par engloutir celle se trouvant sous les projecteurs. Du pain béni pour le duo Fabien Nury et Brüno, pour qui cette Amérique, qu’en France on aime tant haïr et que l’on a pris l’habitude de désigner, jusqu’à la nausée, comme étant celle « de » Donald Trump (ou du moins, celle qui l’a élu), était un matériel de prédilection bien avant l’élection du-dit président. Après le succès mérité de leur excellente série noire Tyler Cross, ainsi que leur beau livre Vintage et Badass (catalogue stylisé de leurs sources d’inspiration pour Tyler Cross), les voilà qui font une première incursion dans le documentaire, sans prévenir.

Pour ce faire, le scénariste vétéran Fabien Nury (Charlotte Impératrice, Katanga, Comment Faire Fortune en Juin 40…), emprunte la méthode du roman de non-fiction américain à la Truman Capote (De Sang-Froid), en faisant d’un fait divers sanglant la métaphore de tout un pays. Il y déploie une construction remarquablement chapitrée, en s’appuyant sur un mélange de citations issues du cinéma américain, tout à fait pertinentes, et sur une documentation simple mais efficace, fournissant la matière de séquences entières qui n’en sont pas moins passionnantes.

Élément essentiel d’une telle entreprise documentaire, la distance des auteurs face à leur sujet est pleine de doigté. En recourant à un ton volontiers grinçant, glissant parfois dans une ironie plus ouverte, ils ne font pas secret de leur opinion des événements (et donc l’assument dans ce qu’elle peut avoir de subjectif, comme en témoigne un bref avertissement en page de garde, bien venu pour mettre les choses au clair). En cela d’ailleurs, ils restent des artistes plus que des documentaristes. Mais ils font aussi attention à ce que cette opinion n’étouffe pas le lecteur, en laissant la plupart du temps les éléments de l’affaire parler d’eux-mêmes. D’autre part, ils sont capables d’adopter à tour de rôle le point de vue de toutes les parties, avec une empathie assez remarquable, et leur critique – certes acerbe – semble plutôt cibler avec intelligence les problèmes d’un système, plutôt que des responsabilités individuelles, évitant de sombrer ainsi dans l’accusation bête et méchante.

Enfin, venons-en à ce qui est probablement le clou du spectacle : le graphisme clair et froid de Brüno (LornaAtar Güll, Commando Colonial, Biotope…) qui rivalise d’invention afin de renouveler la mise en scène, parvenant sans effort apparent à se mettre entièrement au service du fond, et parfaire ainsi un récit glacial. Il atteint ici des sommets de maîtrise dans l’art de l’illustration, l’air de rien, caché par la sobriété confinant au dépouillement d’un auteur pleinement mûr. Le tout, discrètement mis en valeur par la couleur toujours juste de Laurence Croix.

La thématique de fond, tout comme la perspective qu’ils proposent, ne sont pas particulièrement originaux – quoiqu’ils restent intéressants et parfaitement traités. Ils ne propulsent donc pas L’Homme qui tua Chris Kyle au rang de classique de la non-fiction en bande dessinée. Reste qu’il y a là un travail inspiré, au-dessus du lot, une sorte de polar se déroulant dans la réalité, qui laisse un frisson malsain difficile à secouer. Une des BD de 2020 à ne pas rater.

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