L’Homme sans sourire
En haut de l’immense cité verticale, les nobles peuvent rire aux éclats, c’est de bon aloi. En bas, de la ville comme de l’échelle sociale, les sinistres, comme on les appelle, sont condamnés à faire grise mine. Même un sourire léger est proscrit, alors un fou-rire et c’est la peine capitale. En haut, il y a le Roi Joyeux et sa si jolie fille, la princesse Carmine. En bas, mis au ban dès sa naissance pour une risette de trop, Hubert 31-36 rêve de la princesse et a toujours le gloussement facile. Et entre les étages, il y a le frère du roi, fomentant une révolution…
Voilà un album étrange que propose le scénariste Stéphane Louis (Road Therapy, Mon père, ce poivrot, Martin Bonheur, Redsun, 7 clones…). Il imagine une dictature de la morosité délicieusement absurde, et visuellement bien mise en place par Stéphane Hirlemann, dont c’est le premier long album. Collant à un scénario en apparence plutôt classique, le dessinateur insuffle une bonne dose de vie et d’énergie, dans un style expressif et détaillé, rappelant les belles années 1990 des Horologiom ou La Nef des fous. On pourrait se laisser glisser aisément dans cette histoire, mais il y a cette voix off omniprésente, récitatif d’un narrateur omniscient, qui parle en vers et à tort et à travers. Et interpelle les personnages, comme le lecteur. En lui promettant des révélations bouleversantes pour la fin… Dès lors, on ne peut rien dire. Si ce n’est qu’en effet, Louis a conçu un surprenant épilogue d’une page qui éclaire l’ensemble de son one-shot, d’une lumière intime très touchante.
Il faut donc s’accrocher pour apprécier l’intégralité, et il faut bien avouer que ce n’est pas toujours facile, tant le texte est abondant, amusant certes car bien tourné, mais un peu pesant aussi. Il prend d’ailleurs le pas sur l’intrigue elle-même qui, outre quelques spectaculaires rebondissements bien trouvés, patine un peu et se recroqueville sur elle-même. Mais là, encore, c’est logique compte tenu du secret final… La seconde lecture, une fois éclairée, prend un autre sens, assez brillant et audacieux, mais il aura fallu parvenir au bout de la première. Et le choix d’un univers de dystopie vintage et d’une intrigue mollassonne pourra en dissuader plus d’un. Ce serait pourtant dommage…
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