L’indispensable « Petit Christian » de Blutch en intégrale
Toute bonne et vraie confession intime devrait en fait ressembler à celle dessinée et contée par Blutch (Lune L’envers, Vitesse Moderne, Pour en finir avec le cinéma…) : Le Petit Christian, Prix Essentiel du 36e festival d’Angoulême en 2009, dont la réédition aujourd’hui par L’Association rassemble les deux volumes.
Le premier reprend les pages (noir et blanc) parues dans Fluide Glacial entre 1994 et 1996 ainsi que dans la revue Lapin en 1997 et 1998. Le deuxième, celles parues dans Ferraille Illustré entre 2005 et 2006 et les épisodes prépubliés dans Charlie Hebdo à l’été 2008. On y trouve un petit garçon venu d’Alsace, coupe au bol et cœur d’artichaut en bandoulière, coincé entre ses idoles de jeunesse et le devoir de grandir au contact d’autres collégiens, à l’ombre souvent d’une intransigeante censure maternelle et bercé par de passionnantes lectures. Le petit Christian s’imagine des mondes, se met en scène en monstre sacré du cinéma, vit ses fantasmes en endossant la tunique de ses héros préférés. Cowboys, Indiens, stars de cinéma (Wayne, Delon, Bruce Lee, Jackie Chan, McQueen), playmobil, Pif Gadget et autres Tintin, figures d’autorité catalyseurs du changement, peuplent ses rêves de gamin confronté à l’effervescence hormonale. Car c’est aussi l’occasion d’évoquer un horizon d’angoisses et d’obsessions (ah le passage en 6e et cette inaccessible Catie Borie !), de parler des affres de l’adolescence avec un regard nostalgique mâtiné de tendresse, sans échapper à une forme d’autodérision toujours réjouissante.
C’est un fait, Blutch réussit magistralement, à travers le petit garçon naïf qu’il fut, à faire vivre l’esprit de ses figures tutélaires dans son âme de passionné. Par contraste, il raille gentiment ou avec cruauté ses travers de jeunesse sur un ton polymorphe, entre humour, fantaisie et poésie, à la lisière de la tragédie et de la comédie. Comme chez Riad Sattouf, ce qui semble ridicule devient alors hilarant. Projection d’un imaginaire merveilleux et angoissé animé par un panthéon d’idoles où chacun doit trouver sa place, se construire et grandir, Le Petit Christian et sa ligne frêle virtuose touche du doigt l’essence même d’une jeunesse en construction, plutôt que de se focaliser sur le personnage. Avec ce regard amusé et moqueur, tout en nuances mais toujours bienveillant envers l’enfant que nous avons été, Blutch réussit là où la plupart échouent, en évitant le lamento ou la célébration autocentrés pour lui préférer le brio de la mise en scène. Depuis, on n’a pas fait mieux ! Une formidable porte d’entrée en tout cas pour découvrir l’univers singulier de Blutch, l’un des auteurs les plus talentueux de la bande dessinée mondiale.
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Le Petit Christian – intégrale.
Par Blutch.
L’Association, 26?50 €, avril 2015.
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