L’Institut des Benjamines
Après le déchirant Gousse et Gigot, Anne Simon poursuit sa grande saga des Contes du Marylène, fresque singulière à la frontière entre le pamphlet politique et féministe, et la fable morale et fantastique. Une oeuvre profonde, reflet en fiction d’interrogations intimes sur la violence du monde contemporain, le rejet de l’autre, la domination masculine à tous niveaux, la tentation de l’autoritarisme. Le tout dans un monde fantasmatique, ivre d’alcool et de frites.
Ici, c’est la trajectoire de l’intellectuelle Simone qui est brossée, à travers son Institut des Benjamines, poche de résistance face au régime ignoble de l’infâme Boris, mais qui porte en elle les germes de sa déviance. Car chez Anne Simon (n’hésitez pas à relire notre interview), l’héroïsme pur n’existe pas et toute action vertueuse comporte une face sombre, très sombre. Ainsi, l’Institut forme des jeunes filles à penser par elles-mêmes, pour déstabiliser le patriarcat et un jour renverser par la force le tyran. Mais ces gamines ont été enlevées à leur famille et sont recluses dans l’Institut, afin d’y être formatées. Puis d’être… mais chut, ne révélons pas toutes les horreurs qui se joueront là.
Refusant toute facilité et résolution artificielle, l’autrice semble ainsi décrire un éternel et infernal recommencement, où une dictature ne peut être remplacée que par une autre, car la démocratie serait une chose trop fragile si elle n’est pas chérie et protégée par tous, dans une vision globale et partagée de son intérêt. Au fur et à mesure des volumes, ce qui avait au départ l’allure d’une grinçante tragi-comédie animalière devient une épopée glaçante d’intelligence et de clairvoyance, dont le dessin délicat aux petites hachures contraste totalement avec l’impressionnante ambition. Magistrale.
Publiez un commentaire