Little Bird
Drôle d’oiseau que la petite Little Bird, enfant se retrouvant l’enjeu d’une guerre entre un Empire nord-américain tombé aux mains de nationalistes chrétiens et Résistance canadienne dans un futur lointain où certains hommes sont désormais génétiquement modifiés. Sa mère est une figure des maquisards réfugiés dans les Rocheuses, son père, un martyr emprisonné et son existence à elle, porteuse du gène de la résurrection, un affront pour l’Evêque, tyran théocrate installé dans le Nouveau Vatican. Visuellement époustouflant et thématiquement travaillé par les mêmes questionnements sur le totalitarisme et le fanatisme religieux, Little Bird pourrait être un album d’Enki Bilal. Pas sûr que le scénariste Darcy Van Poelgeest, venu du cinéma et dont c’est la première BD, ait jamais lu l’auteur français. Le dessinateur Ian Bertram, a lui, probablement feuilleté La Foire aux Immortels et eu sous les yeux des planches de Druillet ou de Caza. Ce qui est certain, il ne s’en cache pas en interview, c’est que Bertram a dévoré les œuvres complètes de Moebius dont l’influence se devine à chaque case.
Et il faut avouer que de ces grands maîtres de la SF hexagonale, il est l’un des disciples de langue anglaise les plus doués. Surdoués même. Sortis de Paul Pope, Mike Mignola ou de l’Écossais Frank Quitely, rares sont les auteurs de comics à avoir aussi bien digéré le style Métal Hurlant, cette ligne claire texturée à la main de manière experte, à coups de pointillés et de hachures. Mais Bertram n’est pas un plagiaire : sa virtuosité technique n’aurait aucun intérêt sans l’élégance racée dont il fait preuve dans les compositions et dans le découpage. Comme dans sa précédente BD, Dans l’Antre de la pénitence, les pages de Little Bird ont une évidence rare : généreuses, amples, fluides, ici magnifiées par le talent fou du coloriste que toute le monde s’arrache, Matt Hollingsworth, en parfaite symbiose avec son dessin.
Little Bird pourrait presque se passer de dialogues et même, on pousse un peu le bouchon, d’une intrigue. Qu’importent en effet les rebondissements de cette histoire solidement narrée mais brodée sur un canevas archi-classique qui lorgne aussi du côté d’Akira avec son enfant-titre et sa fascination pour les déformations corporelles. Le travail de Ian Bertram pourrait se suffire à lui-même et justifie à lui seul la lecture de cette envoûtante symphonie teintée de sang et de larmes.
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