« Lomax » et « Fanfare »: la musique, c’est la vie !
Musique et bande dessinée font souvent bon ménage. On en veut pour preuve les sorties récentes de La Maison de pain d’épice (où Hubert Mounier raconte la création de son disque), Jukebox (reportages musico-fictifs de Charles Berberian), Bordel de luxe (CD des Hurlements de Léo, dérivé en BD par David Benito et Laurent Bourlaud), Backstage (strips drolatiques sur la naissance des Rolling Stones), ou des reprises en albums des Fluide Glacial consacrés aux Beatles (The Beatles Comic Hystéry Tour) et aux Stones (Sympathy for the Stones). Le festival parisien BullesZik célèbrent d’ailleurs ces liens avec un prix dédié. Et deux albums tout frais, réalisés par des auteurs imprégnés de musique, viennent rappeler l’importance des mélodies et des chansons dans la vie des hommes, de tous lieux et de toutes époques : Fanfare d’Aude Picault et Lomax de Frantz Duchazeau.
FANFARE
Joueuse de trombone dans la fanfare Les Ouiches Lorènes, Alda tente de se faire une place au sein de ce groupe bruyant et rigolard, qui se mêle facilement aux formations similaires réunies à l’occasion d’une feria. Étudiants aux Beaux-Arts ou en médecine, ces musiciens amateurs rivalisent d’énergie et de gueulantes, au coeur d’une fête où les mélodies comptent autant que les litres de bière avalés, où rien n’a d’importance à part rire et s’époumoner, faire la fête sans penser au lendemain…
Alda, l’alter-ego d’Aude Picault (qui joue effectivement dans une fanfare funk), aimerait « être cool, mais n’y arrive pas du tout ». A la différence de la brune Josée, grande gueule au charme fou, qui emballe qui elle veut, quand elle veut. Mais est-elle vraiment elle-même, ou se compose-t-elle un personnage ? Car dans ces fêtes musicales, pour peu qu’on arrive à tenir debout sous le poids de son instrument, entre les cadavres de bouteilles, les flaques de vomi et les viandes saoules qui cuvent leur vin, chacun teste ses limites, invente un peu celui qu’il aimerait être, rejette toute idée de sérieux et de prudence. Se cherche donc, et se trouve parfois.
Membre des Chicou-Chicou, auteure de Papa, Transat ou Comtesse, Aude Picaut démontre à nouveau tout son talent pour raconter des choses justes et sincères, avec un sens aigu du texte court et du dessin qui frappe.
Elle maîtrise aussi parfaitement la distance nécessaire entre l’inspiration autobiographique (qui fait de son Fanfare un album crédible) et le récit fictionnel (qui permet de dire plus de choses en moins de temps). Elle montre surtout que la musique jouée en direct et en groupe, quasiment sans contrainte formelle, permet d’exprimer beaucoup plus de choses qu’une bête discussion entre copains ou une ligne écrite dans un journal intime. Défouloir anonyme, psychanalyse de groupe alcoolisée, la fanfare est un condensé exacerbé de jeunesse, un lieu bruyant et éloquent, plein de joies et de déceptions, un concentré cuivré d’adolescence. Dont on sort avec la tête qui tourne, mais l’esprit plus léger.
Fanfare
Par Aude Picault.
Delcourt/Shampooing, 11,95, le 11 avril 2011.
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Lomax
Autre temps, autres moeurs, autre musique qui parle de la vie. Dans la continuité du Rêve de Meteor Slim (personnage qu’on croise d’ailleurs au détour d’une séquence de ce Lomax) et des Jumeaux de Conoco Station, Frantz Duchazeau poursuit sa route dans le Sud américain, celui du blues et de la ségrégation. Cette fois, il s’attache à décrire le parcours de John Lomax et de son fils Alan sur les traces des chansons traditionnelles américaines. Au coeur des années 30, ces fins musicologues – qui ont vraiment existé, Alan est mort en 2002 – enregistrent les chants des travailleurs noirs, qui crient leur douleur, leur colère et leurs espoirs, dans un pays qui les considère encore comme des quasi esclaves.
Passionnant, ce road-trip dans une Amérique rurale et conservatrice met en scène quelques fameux pionniers du blues (Son House, Leadbelly…), et autant d’anonymes qui n’expriment qu’une seule chose : leur dégoût d’une société qui les rejette, les bat, les tue, en raison de leur couleur de peau. Ce voyage est une quête initiatique pour le jeune Lomax, qui met au jour les fondations violentes et haineuses de son pays. Mais c’est aussi un travail de fourmi, dont il réalise l’importance au fur et à mesure : « Préserver le passé avant qu’il ne disparaisse à jamais. »
Lomax père et fils oeuvrent ainsi pour conserver une trace de ce patrimoine de l’Histoire (toute jeune) des États-Unis. Un patrimoine vivant, racine de toute la musique du XXe siècle, mais qui va se décliner en versions commerciales, à mesure que le blues se muera en rock, folk, R’n’B, rap. Même si certains artistes perpétuent l’esprit de révolte et de dénonciation de conditions de vie injustes, le blues des années 20-30 reste l’expression la plus populaire et la plus limpide qui soit d’une souffrance et d’une envie de vivre. Par ce beau one-shot, au noir et blanc sobre et chaud, Frantz Duchazeau compose un bel hommage à ces artistes quelque peu oubliés, en même temps qu’une bande dessinée pleine de vie et d’enthousiasme.
Lomax
Par Frantz Duchazeau.
Dargaud, 19,95 €, le 6 mai 2011.
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