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BoDoï, explorateur de bandes dessinées – Infos BD, comics, mangas | January 13, 2025















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Lucas Harari, double trouble

13 janvier 2025 |

Lucas Harari (crédit : Tom Harari)

Lucas Harari (crédit : Tom Harari)

Depuis la parution de L’Aimant, en 2017, Lucas Harari fait partie de ces auteurs dont on guette le nouvel album dans le catalogue des éditions Sarbacane. Il faut patienter trois ans en moyenne, un peu plus cette fois. Il faut dire que Le Cas David Zimmerman est imposant. Ce récit intimiste à la croisée de plusieurs genres, entre fantastique et thriller, a nécessité une écriture à quatre mains, dont celles du cinéaste Arthur Harari. Seul Lucas était présent au festival BD Colomiers, où BoDoï l’a rencontré en novembre dernier pour explorer les coulisses de la création de ce roman (très) graphique qui met en scène un jeune homme solitaire qui se réveille dans le corps de la mystérieuse femme avec qui il a fait l’amour la veille…

En s’emparant de ce grand album de 368 pages, on se demande comment ne pas se décourager face à un projet aussi ambitieux… N’avez-vous pas songé à en faire deux tomes ?

Quand j’ai commencé, je n’avais pas de vision précise de l’ampleur du récit. Au départ, je pensais à un format court, peut-être prépublié en fanzines… Mais le récit a demandé plus de développement, la pagination a augmenté, et j’ai bien vu que Le Cas David Zimmerman serait plus long que mes précédents albums, L’Aimant et La Dernière Rose de l’été. Je me suis posé la question de faire deux tomes, mais le récit ne s’y prêtait pas. Et puis il faut penser à la coupure nécessaire pour accompagner la parution du tome 1, de l’effort pour s’y remettre après… à condition que le premier ait plu.

harari-zimmerman1D’où est venue l’idée de cette quête d’identité ?

C’est un peu cliché, mais j’ai souvent mes idées pendant la nuit, quand je n’arrive pas à trouver le sommeil. J’ai eu cette idée du changement de corps, assez classique d’ailleurs dans le genre fantastique. Je connaissais des comédies américaines – souvent un peu graveleuses – sur le sujet, et c’est aussi un sous-genre du manga érotique. Mais je ne voulais pas du tout aller vers là, je voulais faire du fantastique réaliste. Assez vite, le personnage de David, sa sociologie, l’arc narratif et la fin sont arrivés. Parallèlement, j’attendais un enfant, donc je me posais plein de questions sur mon enfance, je ressortais des photos… C’est une période où on est percuté par son héritage familial, on replonge dans ses origines. Sans cela mon récit aurait peut-être pris un autre tournant que celui de l’identité.

Comment votre frère Arthur Harari, réalisateur et scénariste du 7e art, s’est-il retrouvé sur la couverture de ce livre du 9e art ?

J’ai commencé à écrire seul pendant quelques mois. Puis je me suis senti bloqué. Comme d’habitude, j’ai fait lire ce que j’avais écrit à mes frères, Tom et Arthur. Ce dernier m’a dit : « Tu tiens quelque chose, il ne faut pas lâcher. Essaie d’écrire avec quelqu’un. » Il m’a mis en contact avec l’auteur Tristan Garcia, dont j’avais adoré le recueil de nouvelles 7. On a eu quelques échanges, mais finalement, Arthur n’arrêtait pas de penser à mon histoire et c’est avec lui qu’on l’a approfondie. Nous avons alors tout retravaillé pour que le récit soit fluide et organique.

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L’album aborde les questions de l’identité et du genre, entre autres. Vous posez des questions sans toutefois y répondre…

harari-zimmerman22Je n’ai pas la prétention de répondre à des questions aussi vertigineuses ! Les brèches que peuvent ouvrir certains états m’intéressent. J’aime écrire des histoires qui permettent d’atteindre des endroits inaccessibles à la réalité. Mes personnages ne soulèvent pas des buildings comme Superman, mais se retrouvent face à des situations tout aussi impossibles, c’est plus insidieux… Mon idée de départ, combinée à la façon dont je l’ai traitée, m’a confronté à des questionnements incroyables, qui m’ont troublé moi-même, que ce soit sur l’identité, l’assignation.

Comment avez-vous travaillé le côté réaliste de ce récit fantastique ?

Le réalisme s’incarne d’abord dans le découpage et le dessin que j’ai plus poussé que dans mes livres précédents. Et puis, nous avons fait de nombreuses relectures et beaucoup retravaillé les dialogues, afin que les sociologies des personnages se dessinent. Certains font les négations, d’autres non, certains commettent des fautes… La présence d’Arthur a permis une confrontation, un autre regard, un jeu de ping-pong où l’on se lance les idées. Il a aussi apporté une grande technicité, car il a une grande expérience de la matière scénaristique [cinéaste, il a co-écrit avec Justine Triet Anatomie d’une chute, Palme d’or 2023 et Oscar du meilleur scénario original 2024, N.D.L.R.]. Parfois, il craignait le manque de vraisemblance. Je lui ai dit : « Ne t’inquiète pas, en BD, on peut se permettre l’invraisemblable ! » Le filtre du dessin permet ça, contrairement au cinéma. Les cases sont figées, les lecteurs et les lectrices les font bouger dans leur tête et entre deux cases, recréent des images. Enfin, la bande dessinée a une histoire liée à celle de la littéraire enfantine, avec une grande part de fantastique, de burlesque.

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Qui dit quête dit rencontres et explorations. Vous avez pris plaisir à dessiner tous ces corps et décors ?

Oui, bien sûr ! Je suis scénariste avant tout parce que je suis un dessinateur et que j’ai souvent du mal à me projeter dans les récits des autres. J’adore dessiner l’architecture contemporaine, j’en mets dès que je peux ! C’est un de mes enjeux en dessin : dès que je sors dans la rue et que je vois des portes cochères, un bel arbre… j’ai envie de les dessiner dans mes albums. J’aime aussi introduire de la lenteur, d’où les planches muettes… C’est important, dans la vie, les silences et les vides. Après une scène intense en dialogues, quelques grandes pages de paysages permettent de donner de l’écho à ce qui vient d’être dit. Cela permet aux lecteurs et lectrices de se projeter dans les problématiques des personnages. J’ai toujours l’impression que ça va trop vite… c’est sans doute pour cela que mes livres sont de plus en plus gros !

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le-cas-david-zimmerman_couvUn mot sur les couleurs : vous avez opté pour des contrastes forts, y compris pour la couverture ?

J’ai longtemps imaginé le livre en noir et blanc. Finalement, pour les pages intérieures, j’ai fait des essais, en monochrome, puis en utilisant la trichromie un peu comme pour L’Aimant, c’est une grammaire qui me va bien. Cette fois j’ai opté pour un bleu qui tire vers le violet, qui est pour moi une couleur inquiétante. Ça fonctionnait très bien avec le récit. En revanche, pour la couverture, le vert et le violet étaient là dès le début. La silhouette noire sur fond vert est une référence à un plan d’un film d’Alfred Hitchcock. Je vous laisse trouver lequel !

Propos recueillis par Natacha Lefauconnier

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Le Cas David Zimmerman
Par Lucas Harari et Arthur Harari.
Sarbacane, 368 p., 35 €, novembre 2024.

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