Luigi Critone, huit ans avec François Villon
Luigi Critone, l’auteur italien de 45 ans originaire de Basilicate, vient d’achever la belle trilogie Je, François Villon, d’après le roman de Jean Teulé. L’occasion de revenir sur sa première expérience en tant qu’auteur complet, après le remarqué 7 missionnaires qui l’avait fait connaître auprès du grand public. Et sur le mystère qui entoure un poète à l’existence dissolue.
Comment vous est venue l’idée d’adapter le roman de Jean Teulé ?
C’est Elisabeth Haroche, éditrice chez Delcourt, qui avait lu le roman et pensait qu’il pourrait faire une bonne BD. Elle a pensé à moi et m’a prêté le livre. Je l’ai lu… et j’ai d’abord été effrayé. Puis j’ai découvert François Villon, un personnage très intéressant, atypique, impossible à caser, qui nourrit le doute en permanence. On ne sait pas comment l’appréhender et je me suis dit qu’explorer sa vie en BD constituait un défi stimulant.
Du coup, après trois albums, comment vous représentez-vous ce personnage, poète punk qui semble fasciné par ses propres excès ?
Il est ambigu, réfractaire ou intolérant à toute autorité. Il a eu l’occasion de vivre paisiblement mais a toujours échoué ou refusé, car il a préféré suivre les marginaux et cherché la liberté à tout prix. Une liberté qui lui a coûté cher. Je le vois plutôt comme un faible. Il avait un idéal et se laissait facilement emporter par le contexte. C’est en tout cas ma façon de le voir. D’autres disent que ce personnage n’est qu’un alter ego inventé par Villon lui-même. Je dirais que Jean Teulé, dans son roman, a créé un personnage vraisemblable, rebelle jusqu’au bout. Certaines parties du roman, malgré l’importante documentation, relèvent de l’interprétation mais l’ensemble demeure cohérent.
En termes de documentation, vous êtes-vous fié uniquement à Jean Teulé ou avez-vous étoffé votre connaissance du personnage ? Jean Teulé est-il intervenu dans le processus créatif ?
Il m’a toujours soutenu mais n’est pas intervenu. Nous nous sommes rencontrés plusieurs fois et, naturellement, j’avais envie que ça lui plaise même si je n’ai rien fait pour. À la fin de chaque album, si nécessaire, il faisait juste des petites corrections. Sinon, j’ai fait un certain nombre de recherches au début sur Internet : c’est plus facile, plus rapide et cette période est relativement bien documentée. Mais j’ai récemment rencontré une historienne qui a écrit une biographie nourrie de faits historiques (De moi, pauvre, je veux parler, par Sophie Cassagnes-Brouquet). J’ai découvert des choses que j’aurais aimé intégrées…
Qu’est-ce qui vous a stimulé ou posé problème dans ce travail d’adaptation ?
Je suis passionné par le langage et la grammaire de la BD. Roman et BD n’ont pas le même rythme. Je me suis imposé des règles strictes par rapport aux choses que je voulais tenter. Pas d’onomatopées, très peu de cartouches, adopter toujours le point de vue de François Villon. Il m’a été difficile de traduire dans la BD la violence de certaines scènes. Le viol d’Isabelle, le coup du coffre avec les Coquillards, c’est très violent, presque insoutenable. Il s’agissait de trouver le bon équilibre – car la BD ce n’est pas juste une image sur du texte – pour faire passer la barbarie sans tomber dans la complaisance graphique. Je souhaitais davantage nourrir des impressions.
Justement, on n’a pas l’impression que vous recherchez absolument le réalisme mais plutôt une vraisemblance. À l’inverse de votre confrère Théo par exemple (Le Trône d’argile, Le Pape terrible)
Oui, c’est juste. Si vous regardez les décors, ils ne sont pas travaillés dans le détail. Je voulais juste bâtir une ambiance, rendre palpable une atmosphère. La vraisemblance plutôt que la vérité. Je n’ai pas dessiné Paris comme si on y était, mais plutôt pour donner l’impression d’y être.
Que retenez-vous personnellement de cette belle trilogie, au final ?
J’en suis très content, je la trouve aboutie. Mais pour être franc, cela m’a manqué de ne pas travailler avec quelqu’un. Pour cette adaptation, j’ai beaucoup travaillé la narration car, d’une part, c’est ce qui m’intéresse le plus et, d’autre part, c’est l’élément qui va rendre l’album agréable à lire ou pas. Elle doit être claire, immédiate et doit faire oublier au lecteur l’acte de lecture justement. C’est le squelette de l’album. J’ai le sentiment d’avoir obtenu une narration efficace et un dessin épuré, plus que sur 7 missionnaires par exemple.
Votre prochain projet, en solo ou en équipe ?
Après huit ans passés sur cette trilogie – c’est la première fois que je travaillais en tant qu’auteur complet – je suis sur un projet en collaboration avec Gipi au scénario et moi au dessin. C’est assez bizarre de revenir sur un travail en équipe. Je dois réapprendre à échanger pour trouver les solutions à deux. Ce sera un univers de fantasy médiéval « réaliste » sans dragons, dans un registre plus léger que François Villon. Gipi a écrit le scénario comme au cinéma, à moi le storyboard et le découpage.
Propos recueillis par M.Ellis
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Je, François Villon #3.
Par Luigi Critone d’après Jean Teulé.
Delcourt, 15,50 €, novembre 2016.
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