Lumière sur Naoki Urasawa
Naoki Urasawa sera accueilli en grande pompe au Festival d’Angoulême, avec une grande exposition, une masterclass et une rencontre internationale. Une occasion rêvée pour (re)découvrir cet auteur et ses œuvres.
Un guide complet
Pour l’occasion, Panini manga a publié Naoki Urasawa – Le Guide officiel, un ouvrage qui fait office de catalogue de l’exposition prévue à Angoulême puis à Paris (du 13 février au 31 mars). Basé sur un entretien fleuve réalisé par Haruka Oikawa (la responsable éditoriale de Naoki Urasawa depuis la publication de Yawara, en 1987), cet ouvrage retranscrit plus de 12 heures de tête-à-tête mené sur 3 jours. Dans cette interview très complète, mais un brin hagiographique, l’auteur parle de son parcours et de ses mangas, mais nous réserve aussi nombre d’anecdotes, de confidences, d’illustrations couleur, de dessins d’enfance, de croquis ou autres storyboards… De belles heures de lecture et découvertes en perspective !
Une jeunesse solitaire
À cause de parents absents, le jeune Naoki Urasawa passe sa petite enfance cloîtré chez ses grands-parents et sans aller à l’école maternelle : « Je m’amusais seul toute la journée. Je rentrais à la nuit tombée puis je commençais à dessiner. » À l’âge de 5 ans, la lecture de l’histoire du Robot le plus fort du monde (qu’il adapta plus tard sous le titre de Pluto) le marque à vie : « Je me suis retrouvé submergé par une vague d’émotions […] Je réfléchissais sans cesse à l’origine de cette sensation que j’avais eue en le lisant. »
Il passe son enfance bercé par la solitude, mais aussi les dessins animés, les mangas et le dessin… qu’il pratique des heures durant, recopiant notamment les mangas qu’il adore. S’il lit énormément de titres adultes (il avoue s’être rapidement lassé des scénarios trop prévisibles des shônen), il regarde aussi beaucoup la télévision. Il se souvient notamment des apparitions télé de Walt Disney qui présentait ses propres dessins animés (ce qui rappelle inévitablement les apparitions télévisuelles de Chuck Culkin dans Billy Bat), et il avoue qu’il « pleurait comme une fontaine en regardant Lassie, chien fidèle », dont une scène qui le remua intensément.
Un collaborateur de toujours
Il publie sa première série à la suite de sa rencontre avec Takashi Nagasaki (Inspecteur Kurokôchi, Dossier A, King of Eden…), qui deviendra son complice de toujours. Deux rendez-vous par mois et aucune autre rencontre non professionnelle, c’est leur routine immuable : « Nos relations sont exactement les mêmes qu’à l’époque où il était simple rédacteur chez Shogakukan. »
Il ajoute que la force de leur duo repose surtout sur deux facteurs. Le premier est, aussi étonnant que cela puisse paraître, qu’ils n’ont « pas grand-chose en commun [à part leur goût pour] les films des années 50/60 ». Pour le mangaka, leur relation prend justement toute sa force dans leurs divergences : « Notre unique point commun, c’est que nous détestons [les mêmes choses]. » Le deuxième facteur repose sur leur entêtement personnel. Ne sont ainsi validées que les idées faisant consensus : « Ni lui ni moi n’acceptons de céder devant l’autre […] Nous continuons à négocier tant que nous n’avons pas trouvé une solution qui nous convienne à tous les deux. »
Une carrière foisonnante jalonnée de succès
Naoki Urasawa fait partie de la liste des rares auteurs japonais à avoir la quasi-totalité de leurs titres disponibles en français. Il a su créer des récits feuilletonnants addictifs. Son sens aigu de la mise en scène, du découpage et du rythme lui permet de tenir en haleine les lecteurs et d’être l’un des mangakas les plus appréciés des lecteurs de mangas, mais aussi de bandes dessinées.
À 58 ans et bientôt 35 de carrière, ce ne sont pas moins de 8 séries à succès et 152 volumes publiés. Cela représente presque 30 000 planches et des ventes supérieures à 130 000 000 d’exemplaires à travers le monde ! On est certes loin de sa référence de toujours Osamu Tezuka (plus de 150 000 planches), mais il l’avoue lui-même : « J’ai réalisé en cours de route que jamais je n’y arriverais, que ce n’était pas humain. »
Un futur serein
Après avoir enchaîné et cumulé titres bimensuels et hebdomadaire en parallèle pendant 22 ans, l’auteur a trouvé un rythme plus confortable et ne se voit pas arrêter : « Tant qu’il y aura au moins une personne pour vouloir mes dessins, je continuerai à prendre ma plume ! » Il reconnaît sans peine que son besoin indéfectible de dessiner l’a construit en tant qu’individu et ne l’a jamais lâché : « Sans le dessin, je ne suis personne en particulier. »
Sa nouvelle série, Mujirushi – Le Signe des rêves, est actuellement prépubliée au Japon. Cette série co-éditée par les éditions Futuropolis et le musée du Louvre verra sa publication en volume relié en 2018 au Japon et en France. Restera alors encore deux de ses séries indisponibles en français : Pineapple Army, manga d’action mettant en scène Jed Goshi, un ancien soldat américano-japonais (dont un seul volume était paru chez Glénat en 1998), et Yawara !, une série sur le judo… Espérons que la mise en lumière de cette année permettra leur publication prochaine !
Ayant trouvé le parfait équilibre entre temps libre et création, son planning actuel allie télévision, radio, musique et dessin. Côté travail, il fournit en moyenne 6 heures de création par jour durant lesquelles il produit généralement 4 planches. Voilà de quoi nous assurer encore de nombreuses heures de lecture.
Bibliographie des titres disponibles en France, par ordre chronologique de création.
Tâtonnements
Recueil d’histoires courtes de jeunesse, cet ouvrage est à réserver aux amateurs du travail de l’auteur. On retrouve son tout premier récit, mais aussi ceux qui lui permirent de se faire la main et de se faire (re)connaître par le milieu professionnel. Les histoires sont principalement humoristiques et manquent d’ampleur, mais ceux qui ont lu ses titres suivants y trouveront de nombreuses obsessions propres à son œuvre, ainsi que des idées reprises plus tard. Intéressant pour observer la naissance du talent narratif de Naoki Urasawa, cet ouvrage est aussi le meilleur moyen de se rendre compte de son évolution graphique.
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Histoires courtes de Naoki Urasawa – Publié au Japon en 1980-1986 – 1 volume – Kana – 15 €.
L’aventurier
Ce récit met en scène Taichi Hiraga-Keaton, un jeune professeur en archéologie et inspecteur en assurance formé par les forces spéciales de l’armée britannique. Ce diplômé d’Oxford parcourt le monde pour résoudre des enquêtes grâce à ses muscles et sa matière grise. Scénarisés par Hokusei Katsushika et Takashi Nagasaki, les différents chapitres de cette série sont indépendants, mais creusent un personnage singulier. Sorte d’Indiana Jones croisé à MacGyver en plein scénario de Mission: impossible, Master Keaton est un concentré d’action, d’enquête et d’archéologie. Un mélange très efficace qui fait découvrir le monde et ses origines entre deux coups de mitraillettes.
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Master Keaton – Publié au Japon en 1988-1994 – 12 volumes (édition de luxe) – Kana – 15 €.
Don’t worry, be Happy !
Après le succès de Yawara !, sa série sportive mettant en scène une judoka de talent (inédite en France), l’auteur repart sur un manga en solo avec une trame de fond sportive. Miyuki Umino est une jeune femme qui élève seule ses frères et sœurs. Un jour, des yakuzas lui demandent de payer l’énorme dette de son grand frère disparu. Alors que ces mafieux veulent qu’elle se prostitue pour engranger rapidement des gains, l’héroïne ne se laisse pas faire et devient joueuse de tennis professionnelle. Ce récit décalé rempli de bonne humeur prône le dépassement de soi. Humour et divertissement sans temps mort sont de la partie.
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Happy ! – Publié au Japon en 1994-1999 – 15 volumes (édition de luxe) – Panini manga – 10,99 €.
Thriller monstre
Récit marquant un tournant majeur dans la carrière du mangaka, Monster signe son entrée fracassante dans l’univers du thriller. Kenzô Tenma était un neurochirurgien de renom qui avait son avenir tout tracé. Mais son existence prend un tournant irrévocable à partir du moment où il décide de sauver la vie d’un petit garçon à la place de celle du maire. Après avoir ruiner sa carrière et sa famille, il découvre qu’il a en fait sauvé la vie d’un véritable monstre. Porté par des personnages remarquables qui tiennent le récit entre action et tension omniprésente, ce thriller au suspense implacable est souvent considéré comme son chef-d’œuvre. Celui qui l’a d’ailleurs fait connaître et encenser à l’international.
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Monster – Publié au Japon en 1995-2002 – 9 volumes (édition de luxe) – Kana – 15,90 €.
Fin du monde
Alors que Naoki Urasawa est à son top avec la publication de Monster, il entame cette deuxième série en parallèle. Fort du succès de son premier titre à suspense, il délaisse une fois de plus les mangas humoristiques et se lance dans une histoire riche en secrets et en rebondissements. Multirécompensé, ce récit mêlant nombreux personnages, prophéties enfantines, sauts dans le temps, rock, secte mystérieuse, inspirations autobiographiques et fin du monde fascine par sa construction. On se laisse porter avec plaisir dans cette intrigue qui lie le passé le présent et le futur autour d’un homme clé : Kenji.
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20th century boys / 21st century boys – Publié au Japon en 2000-2006 puis 2008 – 12 volumes (édition de luxe) – Panini manga – 15,20 €.
L’hommage au mentor
Fidèle admirateur du travail d’Osamu Tezuka depuis sa petite enfance, Naoki Urasawa adapte ici son récit qui l’a le plus marqué : Le Robot le plus fort du monde. Mis au goût du jour avec son complice de toujours Takashi Nagasaki et adapté à un lectorat adulte, cette nouvelle mouture moderne de ce qui est considéré comme l’un des meilleurs passages d’Astro Boy force le respect. Développée sur 8 tomes, cette adaptation mêle science-fiction, robotique et récit policier en lui donnant encore plus d’ampleur. Fascinant de bout en bout, on sent que l’auteur a pris un réel plaisir à rendre hommage et pousser au maximum les enjeux résolument modernes de ce titre.
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Pluto – Publié au Japon en 2004-2009 – 8 volumes – Kana – 7,45 €.
Intemporel
Dernière série terminée co-scénarisée par Takashi Nagasaki, Billy Bat est sans aucun doute le récit le plus ambitieux de Naoki Urasawa. Dessinant une chauve-souris qui traverse l’Histoire de l’humanité, il donne un rôle prémonitoire au dessin et à la bande dessinée qui liera les époques et des personnages clés de l’Histoire. Quitte à en faire trop, il en met plein les yeux en donnant à son récit une ampleur sans précédent et en impliquant les grands hommes de notre monde. Énigmatique, tentaculaire, riche et complexe, Billy Bat se risque à ne pas explorer toutes les pistes ouvertes, mais assure un divertissement d’une redoutable immersivité.
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Billy Bat – Publié au Japon en 2009-2016 – 20 volumes – Pika – 8,05 €.
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Article (hors bibliographie), citations et anecdotes écrits à partir de l’ouvrage Naoki Urasawa – Le Guide Officiel. Récits, dessins et confidences, Panini manga, 39 €, novembre 2017.
© Naoki URASAWA/Studio Nuts/Shogakukan
© Naoki URASAWA/Studio Nuts/Takashi NAGASAKI/Kodansha
© Naoki URASAWA/Studio Nuts/Takashi NAGASAKI/Tezuka Productions/Shogakukan
© Naoki URASAWA/Studio Nuts/Hokusei KATSUSHIKA/Takashi NAGASAKI/Shogakukan
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