Lune l’envers
La toute puissante maison d’édition MédiaMondia veut sortir le tome 42 d’un best-seller mondial de la BD, Le Nouveau Nouveau Testament. Mais son auteur, Lantz, usé et inconsolable, résiste. Pas grave, Blütch, jeune éditeur ambitieux, y voit un signe du destin. Mais c’est bien sa copine, Liebling, peintre à ses heures perdues, qui aurait les faveurs de l’entreprise…
Toujours là où on ne l’attend pas, Blutch (Pour en finir avec le cinéma) télescope les époques et les personnages – seventies contre futur proche – pour mieux pointer la crise d’identité des sociétés numérisées. Dans une forme classique mais avec un propos stimulant. Lune L’envers, fable SF à l’atmosphère floue campée dans des décors rétro, est tout à la fois une critique froide des logiques industrielles du monde de la BD, une réflexion sur la création et la place de l’artiste, l’image d’une vieillesse rampante et angoissante avalée dans les plaisirs charnels. Les technologies, absurdes et régressives, y produisent à l’aveugle, animées par des travailleurs esclaves d’un système sans conscience ni dessein. À l’image d’Eurifice, avatar où l’on plonge ses mains pour produire on ne sait quoi. Le ton est acide, l’ambiance délicieusement anachronique.
Railleur et fantaisiste, Blutch se met aussi en scène via ses doubles de papier et se moque de son désespoir sans s’y perdre car, dans un style semi-réaliste technique, les couleurs d’Isabelle Merlet, étonnantes de justesse, nuancent la désolation pour la tirer vers un psychédélisme dépoli, celui d’un microcosme froid et cynique avide de chiffres. Soit la production de masse face au désir d’exister, la main contre la machine, Lantz contre Blütch… Blutch, un artisan de la BD décidément en rupture, prouve avec Lune l’envers que sa voix singulière, mélancolique, pessimiste ou drôle, est de celles qui comptent dans l’univers trop balisé du 9e art.
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Je suis loin de partager votre enthousiasme, Monsieur Ellis. Je garde la nostalgie des récits d’humour de Blutch parus dans les Fluide Glacial de la grande époque. Là, l’ami de Chesterfield est revenu auréolé de son Grand Prix, il a sans doute usé et abusé d’une liberté de création, mais le résultat final n’est guère palpitant à lire. Peu d’humour, les obsessions habituelles de l’auteur (sa peur des chiens et son goût pour la chair triste), un livre incompréhensible, mon dieu, il m’a bien fallu trois soirées pour en venir à bout et je n’ai toujours pas compris où voulait en venir l’auteur.
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Eh bien Monsieur Pincemi, vous vous effarouchez de bien peu de chose. Vous regrettez les anciennes saillies de cet auteur, lui refusant le droit d’évoluer, ce qui est la moindre des choses pour tout artiste qui se respecte, et qui aime laisser la trace d’un trajet qui donne du sens à son œuvre. Vous prefèreriez qu’il ressasse indéfiniment les mêmes idées, les mêmes façons, les mêmes « gags », quel manque d’exigence ! Vous ne comprenez pas tout ? Détendez-vous, vous n’êtes pas le seul. Même en regardant autour de nous, le quotidien nous offre de multiples choses incompréhensibles, à commencer par les deux extrêmités d’une vie que l’on parcourt en somnambule. Allons, ce livre est au contraire d’une logique implacable, et Blutch montre que la bande dessinée peut dire des choses essentielles, complexes et vitales, qu’elle est un genre entier, contemporain et tourné vers la vie.
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