Madones et putains
Agata, Lucia et Rosalia sont trois saintes martyres célébrées en Sicile, dont on retrouve les figures et les hommages dans la plupart des églises et lieux saints de l’île méditerranéenne. À partir de leur histoire, Nine Antico compose une série de tableaux sur la condition des femmes dans l’Italie du XXe siècle, entre violence sexuelle, prison sociétale et crimes mafieux. Dans une narration très libre, affranchie de tout carcan classique de la BD, l’autrice de Coney Island Baby ou Il était deux fois Arthur mêle mythes, histoires vraies, geste théâtral et totale fiction pour offrir une bande dessinée atypique et entêtante, de celle qui vous occupe longtemps l’esprit.
Dans son noir et blanc reconnaissable aux visages blafards de mimes, Nine Antico prend un ton quasi documentaire pour tisser les itinéraires de ses trois « héroïnes », puis adopte sans prévenir celui du conte ou de la chronique sociale pour avancer sur d’autres chemins. Même son dessin évolue, prend de l’épaisseur et du mystère, des teintes de rouge aussi, parfois, pour mieux figurer la peur ou la violence. Si on ne s’identifie pas forcément à ses personnages fantomatiques, ou si on n’entre qu’avec difficulté dans ce portrait austère et caustique d’une Italie du Sud qui se joue des clichés, c’est parce que l’autrice maîtrise de A à Z un vocabulaire graphique et narratif qui n’appartient qu’à elle, comme une marionnettiste qui dirigerait tout un théâtre d’ombres et d’objets, manipulant aussi bien ses figurines et que ses spectateurs, au son de deux langues mêlées par-delà les Alpes. Mais jamais dans la démonstration, toujours dans une sensibilité fine, tantôt cérébrale tantôt onirique. À l’image de certains grandes oeuvres du cinéma italien.
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