Mafalda, mon héroïne
Pour les soixante ans de la création de Mafalda, personnage culte qui dépasse largement la frontière argentine qui l’a vu naître, Glénat voit les choses en grand : réédition de l’intégrale de la série avec (enfin) un appareil critique sérieux, signé Claire Latxague, et publication d’un album hommage où une grosse douzaine d’autrices ont relevé avec motivation l’idée de faire vivre la révolutionnaire au grand nœud.
Les livres hommages sont toujours inégaux, les plus réussis étant ceux réussissant un équilibre entre reprise et part d’intime. Après la simple et efficace couverture de Pénélope Bagieu, on est cependant un peu déçu par les premiers récits, montrant un dialogue entre Mafalda et ses autrices (Florence Dupré la Tour, qui fait le lien avec sa naissance en Argentine, puis Maëlle Reat, qui s’imagine en dialogue), et faisant craindre un ouvrage de commande sympathique, mais laborieux.
Les suivants sont inégaux, mais plus proches de ce que promet la quatrième de couverture : non pas une simple galerie d’hommages, mais une « reconvocation » du personnage dans un monde contemporain. Gally et Marie Bardiaux-Vaïente parlent ainsi de l’immigration à travers l’arrivée d’un enfant étranger dans le groupe, en jouant avec habilité avec le côté docte et enflammé de Mafalda. Avec son dessin tournicotant, Émilie Gleason la confronte à la pollution et à l’urbanisation, alors qu’il y a des décennies déjà Mafalda s’inquiétait pour la planète. Maud Begon et Véro Cazot mêlent un récit plein d’angoisses aux enfants-adultes effrayants, ultra connectés, auquel peut répondre la version d’Aude Picault. Cette fois, les enfants sont formellement adultes, ce qui fonctionne un peu mieux, et la conclusion de sa proposition, qui revient sur son rapport à l’autrice au personnage, est plus convaincante dans sa construction que les récits d’ouvertures.
Au milieu de récits courts, des formes plus brèves ponctuent l’ensemble. Florence Cestac offre quelques dessins hommages plutôt convenus, Soledad Bravi et Agathe de Lastic des séquences de gags anecdotiques, quand les « Grandes espérances » dickensiennes d’Anne Simon, qui forment autant de mini tableaux thématiques, sont particulièrement drôles et réussissent à retrouver ce mélange de verve sociale et d’humour sincère.
La majorité des propositions sont donc plutôt réussies, dans un exercice de style jamais évident. Toutefois, plus qu’à un nouveau public, le livre vise des amateurs du personnage et des autrices qui signent les pages – Glénat a en effet réuni de belles et diverses signatures contemporaines –, et il faut assurément déjà connaître Mafalda pour en apprécier le sel… tout en constatant que si elle aurait sans nul doute énormément à dire sur la société contemporaine, la transposition n’est pas si simple.
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