Malaterre
Depuis tout jeune, Gabriel est une forte tête. Fier et audacieux, buté et magnétique. Et accro à la clope et à la bouteille, aussi. Quand il rencontre Claudia, il s’assagit, se range un peu. Ensemble ils ont trois enfants. Mais chassez le naturel… Gabriel flambe, ment, découche. Il aspire à l’aventure et disparaît. Puis, bien plus tard, après avoir donné des nouvelles sporadiquement, il réapparaît dans la vie de ces trois gamins qui n’avaient rien demandé mais qui ne sont pas mécontents de retrouver un père. Qui fait des cadeaux, qui charme son monde, qui illumine leur vie jusqu’ici assez terne. Et là, Gabriel emmène les deux aînés en Afrique, sur l’exploitation forestière qu’il a rachetée et qu’il compte léguer un jour à sa progéniture.
« Je ne savais pas à l’époque que j’avais beau te haïr, je t’aimais quand même. » Ainsi le personnage de Simon, ado renfrogné qui découvre la réalité d’un père vivant de mensonges et d’alcool, conclut son récit après le décès de son géniteur. Simon, c’est l’alter ego de Pierre-Henry Gomont, qui s’est plongé ici dans sa propre histoire familiale pour bâtir un récit initiatique en même temps que le portrait d’un père instable. Dans une bande dessinée construite avec talent et portée par une voix off très littéraire, il décrit ce personnage haut en couleurs, parfois ultra séduisant, souvent détestable. Un type qui ne semble aimer que lui-même, mais qui place l’idée de postérité familiale au sommet de ses priorités – mais peut-être n’est-ce que pour briller par delà sa propre mort. L’auteur de Pereira prétend montre deux ados heureux de la liberté dont ils jouissent dans cette Afrique de carte postale, et en même temps terriblement déçus de l’attitude d’un père qui les a fait venir pour ne pas s’occuper d’eux. Par un trait énergique, griffonné, énervé, il montre ce personnage gesticuler, éructer, picoler, dans des scènes où la couleur joue un vrai rôle narratif et dans des pages aux compositions variées et pertinentes, qui permettent d’avaler ces près de 200 pages sans jamais s’ennuyer. Pierre-Henry Gomont possède un vrai sens du dessin qui irradie de sensations, et il semble encore avoir poussé cet art plus loin ici. Au service d’une déchirante histoire familiale.
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