Manga attachant pour romance atypique
Zoom sur une trilogie manga racontant un amour pas comme les autres : Pas à pas, de Kenn Kurogane, parue chez Taifu Comics.
Peut-on aborder n’importe quel sujet sous couvert de faire de l’art ? Peut-on impunément flirter avec les frontières de notre morale occidentale, aborder des sujets a priori sulfureux, mais surtout sans les dénoncer, voire en abondant dans leur sens ? Certains auteurs de mangas n’hésitent pas à relever le défi et parviennent même à leurrer notre appréhension en jouant de sous-entendus ambigus, et d’un humour décalé bienvenu. Mais d’autres y vont carrément au premier degré, et le jugement moral du lecteur, voire du rédacteur de cet article est inévitable. Verdict sur le manga Pas à pas, paru chez Taifu Comics.
Kenn Kurogane est classé comme un auteur érotique au Japon, spécialiste des récits lesbiens. Au XXIe siècle, rien de choquant. Et comme nombre de ses collègues nippons, il n’hésite pas à conclure la plupart de ses histoires sur des happy ends assumées. Profitons de ce point pour évoquer un paradoxe assez malsain et plusieurs fois constatés dans des récits gays occidentaux (de Philadelphia à Le Bleu est une couleur chaude). En effet, si la loi ne condamne plus l’homosexualité, pour certains celle-ci reste un tabou. Une sorte de malaise conduisant nombre de récits à se comporter comme des pseudo « contes moraux » où les protagonistes socialement différents sont condamnés à une fin tragique (bref, quand un auteur n’assume pas ses partis pris jusqu’au bout). D’un côté, on raconte une histoire d’amour entre deux garçons ou deux filles, mais rattrapé par une pression sociale « bien pensante », on finit par conclure de manière tragique et consensuelle (mort d’un des personnages, séparation, etc.)!
Un comble qui n’a pas lieu d’être au Japon. Bon nombre de mangas lesbiens se finissent donc de façon très heureuse, sans morale manichéenne primaire et réductrice. Ceci éclairci, passons au titre qui nous intéresse ici, Pas à pas. En effet, Kenn Kurogane est surtout connu pour mettre en scène des amours… adolescentes ! Si les relations sexuelles (et sentimentales) entre des personnes de la même tranche d’âge sont encore acceptables pour un certain lectorat, quand l’un des deux protagonistes est majeur et l’autre mineur, cela peut devenir houleux. Surtout si l’auteur prend fait et cause pour cette relation, jusqu’à la conclure de façon heureuse !
Kenn Kurogane est avant tout un auteur fripon non avare de scènes érotiques. Mais pour son triptyque Pas à pas, il freine ses ardeurs et se concentre sur les aléas de la vie d’un couple pas comme les autres : une jeune étudiante nippone vivant en concubinage avec une femme adulte, et accessoirement sa professeure ! Nuançons tout de suite le contexte : Otome est ainsi une jeune fille délaissée par ses parents, vivant en recluse, et sombrant petit à petit dans une mélancolie morbide. Sa prof Minato s’inquiète de la situation et, malgré ses efforts, ne parvient pas à régler le problème. Elle prend alors une décision extrême : arracher Otome à ses parents pour l’adopter. Au départ, la relation qu’entretiennent les jeunes femmes est à peine amicale et les évènements de la vie vont les rapprocher jusqu’à ce que celles-ci se promettent de vivre un jour tel un vrai couple. Kenn jongle ainsi avec les différentes possibilités de son récit : problèmes moraux que se posent les héroïnes, soucis administratifs, difficulté de cacher une relation plus qu’ambiguë à la vue du public, heurts et rabibochages du couple, le tout sans quasiment une seule once d’érotisme (ou si peu – les amateurs de galipettes saphiques iront voir ailleurs).
Au final, Pas à pas est une comédie dramatique oscillant entre réalisme social et romantisme rose bonbon, à la limite de la naïveté. Le graphisme très fin et rond de Kenn Kurogane est rehaussé par une mise en scène tour à tour intimiste, suave, parfois sensuelle, mais aussi comique et bon enfant. Si on se doute que la réalité d’une telle relation serait semée d’embûches bien plus terribles que celles décrites dans le manga (ne serait-ce qu’au regard de la loi), l’auteur ne sombre jamais dans le conte de fée et l’happy end aura un certain prix à payer. Mais c’est au prix de ses efforts qu’on apprécie mieux ses victoires.
Kara
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Pas à pas #1-3.
Série complète.
Par Kenn Kurogane. Taifu Comics (Yuri), 7,99 €, mai 2013.
Public averti 16+
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