Marie Pavlenko et Teresa Valero ont une famille formidable
Avec son titre emprunté à Sister Sledge, We are family devrait insuffler une bonne dose d’énergie et de fous-rires aux lecteurs de tous âges. Car ce premier tome lumineux regorge de bons mots d’enfants, de situations loufoques et de trouvailles visuelles, et offre une salutaire bouffée de tendresse. Rencontre avec la journaliste, romancière et scénariste française Marie Pavlenko (déjà passée par la BD avec Les Envahissants) et la dessinatrice espagnole Teresa Valero (scénariste de Sorcières, dessiné par Juanjo Guarnido, et, pour l’anedote, épouse du scénariste de Blacksad, Juan Diaz Canales). Mamans pleines de vie et auteures inspirées.
Il existe déjà de nombreuses bandes dessinées sur la vie de famille, et les enfants en particulier. Aviez-vous un modèle en tête? Des écueils à éviter?
Marie Pavlenko: Il y a bien sûr un modèle que personne n’égalera jamais, c’est Calvin & Hobbes de Bill Watterson. Outre cette référence, je n’avais pas envie de copier une narration déjà existante. Je voulais un album qui nous ressemble, qui reflète le regard des mamans que nous sommes. Et ce qui me plaît, c’est la frontière ténue entre la vraie vie et la « fausse » imaginée par les enfants. Avec une question : vais-je me projeter totalement dans cet univers?
Teresa Valero: Graphiquement, je voulais éviter un trait trop marqué humour, style Petit Spirou (que j’apprécie par ailleurs). J’adore Disney, bien sûr, et puis Watterson… Mais il est trop fort! Ici, j’ai plutôt pensé à Sempé… J’ai cherché un dessin relativement classique, pour produire un univers quasi idyllique. Car, oui – désolé, c’est peut-être un cliché – nous avons des familles heureuses! L’aquarelle donne cet aspect un peu rêvé, idéal.
M.P.: Ce choix accentue le côté intemporel de l’album, et contraste par sa douceur avec l’inévitable côté pipi-caca.
Comment vous êtes-vous rencontrées?
M.P.: L’éditeur Yannick Lejeune m’a persuadé que mon blog – L’Omelette aux lardons, où j’ai raconté de manière très abondante et littéraire les frasques de mes enfants pendant près de deux ans – pourrait devenir une bande dessinée. Après différents essais de dessinateurs qui ne fonctionnaient pas, Yannick a découvert le blog de Teresa… sur lequel elle dessinait sa vie de famille! L’association semblait toute trouvée. Teresa était très enthousiaste, et dès ses premières recherches de personnages, j’ai su que ce serait elle.
Concrètement, comment avez-vous travaillé?
M.P.: J’ai d’abord sélectionné des textes de mon blog et les ai soumis à Teresa. Une fois le choix arrêté, il a fallu scénariser… La volonté de départ était de lier au maximum le fond et la forme, pour bien reproduire le bouillonnement de la vie de famille. Le travail de construction s’est ensuite un peu fait à l’aveugle, comme un puzzle, entre planches, illustrations seules, strips… En essayant de bâtir un album qui passe par tous les états possibles : tendre, émouvant, drôle, trash… Et c’était aussi à Teresa de digérer mon texte, de se l’approprier.
T.V.: Créer une suite de formats courts est plus facile et plus amusant que d’écrire une longue BD: c’est comme finir un petit bouquin chaque jour! Je travaille un peu à l’inverse de beaucoup d’artistes: je prépare mes roughs et recherches à l’ordinateur, je calibre mes cases avec cet outil, et ensuite j’imprime ces brouillons et je dessine par dessus. Puis vient l’aquarelle. Cela demande beaucoup d’énergie, mais j’adore faire ça. D’autant qu’il est très agréable de travailler avec une scénariste aussi ouverte aux idées de la dessinatrice. C’est si rare! Et c’est une scénariste qui vous parle [Teresa Valero a écrit notamment Curiosity Shop] !
À part un ou deux éléments récurrents, il n’y a pas vraiment de fil conducteur dans l’album. Pourquoi?
M.P.: Le principe de base, c’est l’instantané. Bien entendu, rien n’est laissé au hasard dans l’écriture, mais la nature de l’album est d’être dans l’instant, dans le vrai. Attention, tout n’est pas toujours véridique, nous nous laissons une part d’imagination. Néanmoins, tous les mots d’enfants et la quasi-totalité des situations ont existé. Il suffit souvent d’un tout petit fil à tirer pour créer une petite histoire.
T.V.: We are family est un peu comme un album souvenir, qu’on peut consulter de temps en temps. Si nous avions choisi un récit long, nous aurions dû donner des infos plus précises sur le décor, la temporalité, les personnages. Et nous aurions alors perdu le caractère universel du projet.
Quelles réactions avez-vous reçues de votre famille, puis des premiers lecteurs?
M.P.: Au départ, mon mari avait peur qu’on dévoile toute notre intimité – j’ai dû prendre au moins 500 photos de notre appartement, pour les donner à Teresa comme documentation…
T.V.: Mes enfants ont été un peu vexés de ne pas se voir dans l’album!
M.P.: Bizarrement, on nous a ensuite reproché différentes choses, contradictoires: de présenter une famille bien trop « typique » (papa+maman+deux enfants) ou alors de ne pas assez mettre en avant le père (désolé, mais c’est moi qui bosse à la maison et passe le plus de temps avec mes garçons)…
T.V.: Aujourd’hui, c’est étrange, on a tendance à trouver que le bonheur et sa manifestation sont des sentiments honteux… Il ne faut pas avoir honte d’être heureux avec ses enfants!
M.P.: Oui, ils sont épuisants, mais tellement drôles. C’est de l’énergie pure en barre, ils sont pourris d’amour et tout ça nous file entre les doigts. J’aime écrire des choses sombres, mais je crois qu’on a tous besoin, à un moment, de quelque chose de tendre et d’humain.
Quels sont vos projets? Un deuxième tome?
M.P.: Nous le souhaiterions, mais nous allons d’abord attendre de voir si ce premier volume trouve son public. Pour ma part, j’ai toujours différents projets de romans « young adults ». Je conclus ma trilogie Le Livre de Saskia et je viens de signer chez Fleuve noir.
T.V.: Nous venons de terminer Curiosty Shop avec Montse Martin. Je développe maintenant un projet historique avec un dessinateur espagnol, et je prépare aussi un projet en solo…
Propos recueillis par Benjamin Roure
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We are family #1.
Par Teresa Valero et Marie Pavlenko.
Delcourt, 13,95 €, mai 2013.
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