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Marie Spénale : « Si on parle de corps, il faut les montrer »

21 août 2024 |

Marie-Spénale_photo-libre-de-droitsDans Il y a longtemps que je t’aime, Marie Spénale s’intéresse à Annie, sexagénaire échouée sur une île, qui ne se révélera pas déserte très longtemps. Car un jeune indigène vit là, et l’attire, de manière irrépressible. Fantaisie exotique aux notes érotiques, en même temps que réflexion sur le couple et les préjugés sur le corps vieillissant, cet album, un des plus étonnants et séduisants du premier semestre 2024, marque un tournant dans l’oeuvre de l’autrice de 32 ans. Comme une libération.

Qu’y a-t-il au départ de votre album : l’envie d’une « robinsonnade » ou une réflexion sur le couple?

J’avais eu avant tout cette image de l’île déserte, un endroit où j’aurais rêvé d’être à un moment. Un récit de fantasy, un peu érotique, avait germé… puis je l’ai laissé de côté un certain temps. Quand je j’ai repris, ma vie avait changé, ma vision sur le couple aussi. L’histoire est devenue un peu plus dure… Et entretemps, j’avais pas mal mûri aussi et mieux compris pourquoi et comment je voulais faire de la bande dessinée.

C’est-à-dire ?

J’avais des complexes dans l’écriture, j’avais besoin de composer des aventures très cadrées, j’avais une appréhension à me laisser aller… Plusieurs lectures m’ont nourrie, notamment celles de Simone de Beauvoir, sur le rapport entre autobiographie et fiction. J’ai compris qu’il fallait que je me serve de la fiction pour faire passer des émotions.

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Cela est-il passé par une nouvelle méthode de travail ?

J’ai d’abord noté plein de choses dans un carnet, des idées, des réflexions, qui ont vite rejoint la robinsonnade d’origine. Puis j’ai réfléchi en termes de scènes clés, et des images me sont venues  dans tous les sens. À partir de mon pitch sur une femme qui fait naufrage et rencontre un jeune indigène, j’ai organisé ces scènes clés et mon découpage est venu assez rapidement. C’était une façon de faire toute nouvelle pour moi.

L’histoire est narrée par Annie, qui écrit des lettres à son mari depuis sa solitude de son île déserte, puis rencontre un jeune homme très attirant dans la jungle. On colle à ses pensées, à son point de vue.

Cette subjectivité est totalement assumée, notamment car elle permet la surprise finale. Par son regard, ses souvenirs, elle explique ce qu’elle ressent et le lecteur découvre les choses en même temps qu’elle. Il comprend alors le rapport de soumission qu’elle entretient avec son mari, et voit qu’Annie prend peu à peu du recul sur son couple. Mais j’ai pris plaisir à garder une certaine ambigüité sur son rôle dans la relation, j’aime bien laisser un petit doute !

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Annie est aussi une femme d’âge mûr, personnage qu’on voit peu en bande dessinée, notamment dans des séquences sensuelles. Pourquoi ce choix ?

Le corps qui vieillit, ça fait peur, mais je pense qu’il faut se réapproprier son image. Et puis, Annie a 60 ans, et ce n’est pas vieux, pas encore ! C’est une condamnation injuste ! Ce n’est même pas militant de ma part de dire et de montrer ça : les femmes de 60 ans ont une vie sexuelle, il n’y a rien d’utopique là-dedans ! Tout cela est bien une histoire de construction sociale, des idées qu’on se fait sur le corps, l’amour, le couple… C’était aussi pour cela qu’il était important d’avoir des scènes de sexe assez frontales, pour qu’on saisisse bien ce qui se passe sur cette île. Et parce que si on parle de corps, il faut les montrer.

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La nature, chatoyante, est aussi très présente dans votre album, faisant presque corps avec les personnages.

Elle apporte quelque chose de matériel face aux personnages, car il n’y a pas grand chose d’autre à dessiner sur une île déserte! Mais elle aussi là pour le simple plaisir de dessiner et d’utiliser des couleurs vives ou inattendues. Le rose fluo crée ainsi quelque chose de surprenant, et pousse le lecteur à faire davantage attention aux sujets. J’ai mis pas mal de temps à trouver comment dessiner cette histoire, comment dépasser mes propres contraintes, et montrer que je savais dessiner tout en repoussant mes limites.

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On sent que cet album est très important dans votre carrière…

Ça prend du temps et de l’énergie de repartir de zéro, ce n’est pas très confortable. Mais maintenant, j’ai trouvé comment dire les choses qui me tiennent à coeur en bande dessinée. Et l’accueil plutôt bon du livre tend à me rassurer sur le fait que les lecteurs comprennent ma démarche.

Propos recueillis par Benjamin Roure

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Il y a longtemps que je t’aime.
Par Marie Spénale.
Casterman, 24 €, mars 2024.

Images © Marie Spénale / Casterman

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