Mark Buckingham sous toutes les coutures
Les éditions Urban Comics inaugurent une collection de grands entretiens en consacrant un ouvrage au dessinateur emblématique de la série Fables. Un témoignage très honnête et instructif sur la réalité d’une carrière dans les comics, qui profite des nombreuses illustrations puisées dans l’oeuvre de l’auteur.
« Beaucoup d’auteurs qui percent dans cette industrie sont obsédés par le besoin de se démarquer en définissant un « style » bien à eux. Pour ma part, j’ai passé l’essentiel de ces vingt dernières années à m’efforcer de ne pas avoir de patte personnelle. » Ce constat amusé, Mark Buckingham le dresse à plusieurs reprises au cours de ce long entretien d’une centaine de pages mené en 2010 par Eric Nolen-Weathington, et originellement édité en anglais dans la collection Modern Masters chez Two Morrows. Et c’est vrai que la patte de « Bucky » est moins immédiatement reconnaissable que celle d’un Dave McKean ou d’un Bill Sienkiewicz. Il n’en reste pas moins un artiste important, compagnon de route talentueux et bosseur, d’une génération d’auteurs britanniques qui ont changé l’industrie des comics.
Merci Gaiman et Miracleman
Car Buckingham fait partie de cette vague d’auteurs britanniques, scénaristes et dessinateurs, qui à la suite d’Alan Moore inonda le marché américain à la fin des années 1980, début des années 1990. L’une des rencontres les plus décisives de sa vie professionnelle fut celle avec Neil Gaiman. Fréquenté au milieu des années 1980 au sein de la séminale Society of Strip Illustration, le créateur de Sandman allait lui ouvrir les portes de Marvel et DC en lui faisant décrocher ses premiers gigs US sur Hellblazer ou une mini-série DC consacrée à Poison Ivy, et surtout en le recrutant sur Miracleman.
Redéfini par Moore, et repris au scénario par Gaiman en 1989, ce superhéros post-moderne donne à Buckingham sa première opportunité de montrer l’étendue de son talent d’artiste porté sur l’expérimentation, lui qui avait jusque-là été plutôt cantonné à des commandes d’encreur ou de dessinateur suppléant. Les plans du duo Gaiman-Buckingham sur le personnage seront contrariés pour d’obscures raisons de droits, mais, en 2014, Marvel a pu enfin faire le ménage et près de vingt-cinq ans plus tard, les deux hommes ont pu parachever leur oeuvre, que Bucky considère comme le sommet de sa carrière.
Le marathon des animaux
L’autre grande oeuvre à laquelle son nom sera pour toujours associé, c’est Fables, la série marathonienne de Bill Willingham entamée en 2002 et conclue en 2015. S’il n’était pas de l’aventure dès le départ, Buckingham en devint vite le dessinateur attitré après son coup de maître sur le deuxième arc, La Ferme des animaux, qui lui permit d’exprimer une facette de son art dans laquelle il excelle tout particulièrement : le dessin animalier. Il réalisera plus d’une centaine de numéros de Fables.
Au final, Bucky n’aura pas eu un moment de répit en 30 ans de carrière, à travailler sans relâche, parfois dans l’ombre d’autres dessinateurs, et sans se laisser le temps d’écrire ses propres histoires… Ce qu’il aimerait faire désormais à 50 ans. Cet ouvrage rend un bel hommage à ce grand dessinateur et donne à voir avec beaucoup de franchise ce que peut être une carrière dans les comics, faite de petits boulots puis de grand-oeuvre, parfois, de phases de remises en question puis d’épiphanies créatives (pour Bucky, le hasard qui lui mit dans les pattes un magazine consacré au grand Jack Kirby)…
Parfois un peu laborieux dans le choix strictement chronologique du déroulé de l’entretien, l’ouvrage profite en revanche d’une iconographie impeccable, avec toujours la bonne planche pour illustrer les propos de l’auteur et une belle galerie de crayonnés en bonus. Tout cela donne diablement envie de se replonger dans les séries sur lesquelles Buckingham a officié et on est heureux de voir qu’Urban sort un deuxième ouvrage de cette prometteuse collection, consacré cette fois à Bruce Timm.
Les grands entretiens de la bande dessinée – Mark Buckingham.
Urban Comics, 136 pages, 19 €.
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