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Matt Kindt: « La BD est un art magique »

26 mars 2018 |

matt-kindt-photo-bodoiL’oeuvre de Matt Kindt sans doute l’une des plus excitantes du moment dans la bande dessinée mondiale. Littéraire, subtile, lumineuse, ambitieuse. Car en abordant des récits de genre (polar et espionnage en tête) il fouille l’âme humaine, cherche les failles de ses personnages. Et comme l’Américain aime les défis, le héros de son dernier livre traduit en France, Du sang sur les mains (Red handed: the Fine Art of Strange Crimes en VO), est un enquêteur infaillible, héritier de Dick Tracy. Mais bien sûr, l’auteur de 44 ans va mettre au jour ses doutes et ses erreurs, au fil d’un album plein de fausses pistes et de jeu sur avec le langage même de la bande dessinée, un puzzle vertigineux mais jamais hermétique. Matt Kindt est venu présenter ce livre au dernier Festival d’Angoulême, on ne pouvait pas manquer l’occasion de passer ce grand gaillard affable à la question.

Enfant, que lisiez-vous comme bandes dessinées ?

Des trucs de super-héros, bien sûr, comme Daredevil. Mais un jour, j’ai découvert Tintin et j’ai été fasciné par cette chose avec tant de cases et de bulles à lire. C’était la BD idéale à emporter en vacances pour lire sur le trajet !

Et vous dessiniez déjà des comics pour vous ?

Ce n’est pas venu tout de suite. Adolescent, je lisais beaucoup et je me suis mis à écrire des histoires vers l’âge de 16 ans. Mais, hormis les Tintin de mon enfance, les seules BD que je dévorais provenaient des catalogues DC ou Marvel et, franchement, je ne me voyais pas faire cela. Je me disais donc que la bande dessinée n’était pas pour moi. Puis je suis tombé sur Eightball de Daniel Clowes [séries d’histoires courtes parues entre 1989 et 1996, dont une nouvelle édition française vient de sortir chez Cornélius – NDLR] et je me suis alors rendu compte que l’on pouvait faire autre chose que des comics de super-héros ! J’ai alors commencé à concevoir des petits fanzines.

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Mais vous n’avez pas étudié la bande dessinée ?

kindt_sang7Non, j’ai suivi une filière beaux arts et design graphique. Et d’ailleurs, mes premiers boulots étaient pour la pub, le packaging, et surtout pour des maquettes de livre. Des « coffee table books », des beaux ouvrages. Cela m’a fait comprendre comment était conçu et fabriqué un livre, comment utiliser intelligemment la couverture, les pages de garde, la jaquette… Chris Ware, une autre de mes grandes influences, est aussi très attentif à cet aspect. Gérer l’ensemble de l’objet livre est un gros boulot, et je trouverais intéressant que davantage d’auteurs s’y mettent…

Quand vous vous lancez dans un projet, vous pensez tout de suite à ces éléments de maquette, à l’esthétique globale du livre ?

C’est avant tout l’histoire qui dicte le visuel. Mais pour moi, le texte et le dessin ne se développent jamais séparément : c’est ça qui fait que la bande dessinée est un art magique. De plus, c’est un art relativement jeune, dans lequel je suis persuadé qu’il y a encore énormément à défricher. Ce serait bien plus simple d’écrire un roman ou de peindre des tableaux. Mais réussir à allier textes et images, c’est un défi très excitant.

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À force de jouer sur l’apparence léchée de vos livres, ne craignez-vous pas de tomber dans un pur esthétisme?

Plus je vieillis, plus je développe mon style, mais aussi le contenu. Si je veux produire de belles images à regarder, ce sera de façon consciente, pour servir mon propos : la lecture ne doit jamais être interrompue par des dessins purement esthétiques.

kindt_mind-MGMTCette forme d’obsession pour ne rien laisser au hasard n’est-elle pas trop pesante ?

Un peu ! Je viens d’achever ma série Mind MGMT [en VF chez Monsieur Toussaint Louverture, mais pas avant 2020! – NDLR] et je crois qu’avec celle-là, j’ai réussi à faire tout ce que j’ai jamais voulu faire dans une bande dessinée, en exploitant notamment tous les espaces de l’objet – les pages de garde, les marges, la tranche… Je crois qu’avant Mind MGMT, je ne faisais qu’apprendre. Là, j’ai trouvé. Mais ça m’a épuisé !

Vous n’avez plus d’idées ?

Si, bien sûr ! Les idées ne s’arrêtent jamais, il y aura toujours quelque chose. C’est juste que les conditions de bouclage de Mind MGMT étaient hyper tendues.

kindt_valiantC’est parce que vous ne faites pas que ça.

En effet, j’écris aussi des scénarios pour les éditions Valiant et je travaille sur Dept H. [qui devrait être publié chez Futuropolis courant 2018 – NDLR], qui est mis en couleurs par mon épouse. Mais c’est salutaire, cela m’empêche de m’ennuyer. En général, j’alterne quelques semaines de dessin et quelques semaines d’écriture pour Valiant. Je ne m’arrête donc presque jamais, mais c’est un bon équilibre de travail.

Et l’écriture pour la télévision ? Car vous développez une série à partir de Mind MGMT.

En effet, je travaille avec un scénariste télé pour trouver une façon intelligente de porter ma bande dessinée à l’écran. Il ne s’agit pas juste de filmer l’histoire, ça ne fonctionnerait pas de toute façon. Comme je me suis appuyé sur des astuces narratives inhérentes au medium BD, il nous faut trouver les outils spécifiques du medium télé pour proposer une expérience proche. En travaillant sur le son ou les sous-titres par exemple, ou même l’usage des publicités…

Pour Du sang sur les mains, une histoire criminelle, quelles étaient vos références ?

Chester Gould est une référence directe. J’ai grandi avec les rééditions de ses aventures de Dick Tracy, mais je ne m’étais pas rendu compte de leur influence sur moi avant de me lancer dans Du sang sur les mains. Je pourrais aussi citer Alex Toth. Ou Darwyn Cooke, et pas seulement pour son splendide dessin rétro, mais aussi pour son sens de la narration. Il réussissait à faire naître de l’émotion avec très peu détails, j’essaie encore de comprendre comment.

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Vos livres, de Super Spy à Du sang sur les mains, en passant par L’Histoire secrète du géant, sont souvent plein d’émotions justement.

Je parle surtout de gens qui veulent vivre leur vie. Susciter des émotions en bande dessinée est très compliquée, et c’est mon objectif premier, essayer de faire comme dans les films que j’aime, où je ris et où je pleure la minute d’après. Après, se centrer sur les émotions uniquement pourrait être ennuyeux à la longue. Alors que si on inclut cela dans un récit de genre, une histoire d’espionnage ou de super-héros, cela devient plus excitant.

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Faire naître la peur semble être un défi ardu, comme nous l’expliquait Frederik Peeters récemment. Avez-vous résolu ce problème ?

kindt_sang2En effet, la peur, l’horreur, c’est très difficile… Mais du moment où on contrôle la page, il doit y avoir un moyen !

Du sang sur les mains a un scénario complexe, dont les pièces s’emboîtent petit à petit à la manière d’un puzzle. Comment écrivez-vous ? Avec des petits post-it partout ?

Non pas du tout, tout est dans ma tête ! J’essaie d’écrire le plus possible et ensuite je réagence les choses. Mais je dois avouer que je ne suis pas du tout organisé comme cela dans ma vie, je suis quelqu’un de très distrait !

Propos recueillis au Festival d’Angoulême 2018 et traduits par Benjamin Roure

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Du sang sur les mains.
Par Matt Kindt.
Monsieur Toussaint l’Ouverture, 24,50 €, janvier 2018.

Photos © BoDoï
Images © Matt Kindt/Monsieur Toussaint l’Ouverture

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