Maximilien Le Roy retrace la vie de Nietzsche
À 24 ans, il semble avoir déjà vécu mille vies. Installé à Lyon, Maximilien Le Roy voyage dès qu’il le peut, s’envolant pour la Palestine, l’Algérie ou le Vietnam. Ses rencontres lui servent ensuite de terreau pour imaginer des livres (comme Hosni, sur un SDF). Curieux, le jeune homme s’est penché sur la vie de Nietzsche, en adaptant un script du philosophe Michel Onfray, au départ destiné au cinéma. Il en fait une biographie passionnante, qui traduit avec justesse la vie heurtée d’un géant de la pensée, désireux de « briser les anciennes tables de loi ».
Pourquoi vous intéresser à Friedrich Nietzsche ?
J’ai découvert certains de ses écrits – il fut prolifique – il y a quelques années, et j’ai particulièrement été marqué par Ainsi parlait Zarathoustra. L’image de l’ermite qui sort de sa grotte pour prêcher son message m’a semblé intéressante graphiquement. J’ai eu envie de dessiner cet espèce de Jésus Christ barbu, mais j’avais le sentiment que c’était un trop gros morceau pour moi, à ce moment-là.
Qu’avez-vous aimé dans la personnalité de ce philosophe ?
Son combat contre Dieu et la religion me parle. Et puis j’apprécie sa soif d’absolu, à la Don Quichotte. C’est un personnage très romanesque, romantique, même. Nietzsche avait un côté mégalo, il se définissait lui-même comme un « sismographe d’émotions ». Cet être complexe a été adoré d’Hitler et Mussolini, qui ont vu en lui des choses que je n’ai pas repérées. Sa légende exhale une bonne dose de soufre. Pourtant, il écrivait souvent qu’il voulait faire fusiller les antisémites, et détestait les gens qui ont besoin de gesticuler en parlant…
Comment avez-vous connu le texte de Michel Onfray ?
Je l’ai trouvé par hasard en librairie, il y a un an et demi. J’ai lu L’Innocence du devenir d’une traite. Ce script destiné au cinéma était découpé par séquences, avec une voix off, et fonctionnait très bien. En le dévorant, j’ai dessiné quelques croquis, machinalement. Mon envie de réaliser une bande dessinée sur Nietzsche est revenue, et j’ai envoyé mes esquisses à Michel Onfray, par Internet. Par mail, il m’a donné son accord pour une adaptation. Nous avons eu ensuite une conversation téléphonique pour évoquer l’éditeur.
Vous ne vous êtes jamais rencontrés ?
Non, toujours pas. Mais ça devrait se faire prochainement, à l’occasion de la sortie du livre. Nous n’avons pas eu besoin de particulièrement communiquer car tout était déjà dans le script, je n’ai pas eu à lui demander de précisions.
Vous avez toutefois complété sa vision des choses par vos propres recherches.
Oui, j’ai effectué un voyage de deux semaines en Europe, sur les traces de Nietzsche en Allemagne, en Italie et en Suisse. J’ai vu les lieux où il avait vécu, les forêts qu’il avait fréquentées. J’ai visité tous les musées Nietzsche existant sur ce parcours, et j’ai lu sa correspondance ainsi que des biographies.
Comment vous y êtes-vous pris pour adapter L’Innocence du devenir ?
J’ai rendu les textes de Michel Onfray plus concis, et ajouté quelques scènes qui me semblaient importantes – comme l’attachement de Nietzsche à Lou-Andréas Salomé, ou la guerre entre la France et la Prusse, où il officia comme brancardier.
Comment avez-vous travaillé votre style graphique pour cet album ?
Je me suis beaucoup inspiré de tableaux, en particulier ceux de Van Gogh, Gauguin et Cézanne. Je voulais exprimer la personnalité très tranchée de Nietzsche à travers l’image. D’où des couleurs franches, des aplats. Je souhaitais ainsi éviter les lourdeurs habituelles de la vieille école franco-belge de la BD historique.
Vous publiez bientôt Faire le mur chez Casterman.
Cet album a été déclenché par une rencontre: celle d’un épicier de mon âge, Mahmoud, en Palestine – où je suis allé par deux fois, en 2008 et 2009. Il rêve d’être dessinateur mais est obligé de vendre des petits pois.Amoureux d’une jeune fille, il a dû franchir le mur qui entoure la Cisjordanie pour la rejoindre. Je raconte cette histoire d’amour à laquelle la politique se mêle.
Comment êtes-vous devenu auteur de bandes dessinées ?
Des amis m’ont fait découvrir à l’adolescence la BD pour adultes. J’ai alors décidé que j’en ferai. J’ai intégré une école d’arts appliqués, mais en suis vite sorti: passer huit heures à dessiner des courgettes au fusain me rendait fou ! J’ai donc continué à dessiner tout seul.
Quels sont vos projets ?
Je reviens du Vietnam, pour les besoins d’un livre que Le Lombard publiera. On y suivra le parcours d’un vieux monsieur que j’ai rencontré en France, qui dans sa jeunesse refusa de coloniser le Vietnam et passa du côté du Viêt-Minh. Je travaille aussi sur un scénario prévu au départ pour la télé, mais refusé partout: l’histoire d’un jeune Algérien qui se met en route pour la France, et se retrouve hébergé par une famille dont certains membres étaient paras pendant la guerre d’Algérie. Et j’ai encore un autre projet, pour La Boîte à bulles, autour d’un Israélien de 22 ans que j’avais rencontré en Palestine, qui milite contre l’occupation organisée par son gouvernement.
Propos recueillis par Laurence Le Saux
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Nietzsche.
Par Maximilien Le Roy et Michel Onfray.
Le Lombard, 19 €, mars 2010.
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Faire le mur.
Par Maximilien Le Roy.
Casterman, 15 €, le 24 mars 2010.
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