Mes affinités sélectives
Par Sylvain Saulne et Caroline Rézo. Casterman/KSTR, 16 €, le 22 octobre 2008.
Déstabiliser son lecteur dès le départ est un pari risqué. Sylvain Saulne l’a pris : il nous plonge dans un monde qui ressemble au nôtre, mais sans rien expliquer de l’endroit, ni des personnages. Ce serait la Chine et on suivrait une petite communauté de Français, coincé dans un resto suite à l’effondrement d’un immeuble voisin. Puis l’auteur ajoute une dose de stress et une touche de fantastique : Claire, une jeune femme pétillante et détachée, sait que dans les minutes qui vont suivre, le quartier va devenir une zone de guerre, et que tout le monde va y passer. Elle le sait, car elle ne cesse de revivre ce moment-là : à chaque fois qu’elle meurt, elle renaît la veille de ces événements.
Sylvain Saulne, qui s’était fait connaître l’an dernier sous le nom de Sylvain Limouzi avec le joli Effleurés (Dargaud), a donc pris un pari risqué. Et, contre toute attente, il l’a gagné. En effet, s’il faut quelque pages pour rentrer dans l’histoire, ce roman graphique impose sa force dans la longueur. Car il sort des sentiers battus de la BD classique, en ne suivant aucun schéma scénaristique balisé. Bien que certains passages respirent la naïveté, le ton est globalement desespéré : les personnages plongés en pleine guerre civile se déchirent, rongés par la haine et la peur; les cadavres s’empilent; le meurtre est une solution à tous les problèmes…
Graphiquement aussi, Sylvain Saulne est perturbant. Associé à de grandes illustrations de Caroline Rézo incluses dans les décor, son dessin sous influence manga joue avec des perspectives bizarres. On est vite perdu dans l’espace, le découpage parfois confus n’arrangeant rien. Mais on pardonnera aisément ces quelques maladresses. Il n’y a pas tant de BD que cela qui secoue : Mes affinités sélectives, avec son étrange morale finale, en fait partie.
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