Parmi les récits d’époque et de samouraï, les histoires autour du Shinsen Gumi (un groupe de samouraïs formé en 1864 à la fin du shogunat des Tokugawa) sont légion. Plutôt que de conter sa formation, sa dissolution ou son histoire de manière générale, Jirô Asada et Takumi Nagayasu préfèrent porter notre regard sur l’un de ses membres. Le récit commence alors par ce qui ressemble à une fin : Kan’ichirô Yoshimura a réussi à s’extirper d’une bataille perdue d’avance et tente de trouver une âme charitable pouvant le sauver. Arrivé devant les portes d’un entrepôt du clan qu’il avait quitté avant de déserter pour intégrer le Shinsen Gumi, il se retrouve enfermé dans une pièce pour se donner la mort.

Loin des récits de samouraïs violents laissant la part belle à l’action et aux actes de bravoure, Mibu Gishi Den lorgne beaucoup plus du côté biographique et humain. Ainsi, Kan’ichirô Yoshimura arrivant tant bien que mal à trouver un abri, on lui somme de se donner la mort comme il aurait dû le faire au lieu de fuir lâchement son ancien clan, puis le champ de bataille. Face à cette fatalité, cet homme retrace son parcours de vie et tente de peser le pour et le contre de cette décision que l’honneur lui impose. Au travers de ses souvenirs personnels et de témoignages d’anciens membres du Shinsen Gumi, on en apprend plus sur l’homme, son passé, sa famille, comme par exemple son entrée fracassante dans le groupe en tant que maître d’armes. On découvre l’histoire du clan par bribes et par le prisme de la propre histoire de notre héros. La petite histoire d’un homme rencontre la grande, celle d’un Japon en pleine mutation et d’un groupe armé mythique. Introspection, mélancolie, parfois même tranche de vie, cette histoire prend des atours inattendus et intimes au premier abord déroutants pour le genre, mais cette vision apporte justement un point de vue unique sur cette époque.

Fervent amateur du travail de Tetsuya Chiba (Journal d’une vie tranquille), Takumi Nagayasu a commencé sa carrière à tout juste 15 ans pour des livres publiés dans les librairies de prêt. Et, encore aujourd’hui, ce vétéran du manga travaille seul ses planches avec une minutie qui en ferait pâlir plus d’un. Le mangaka vient de mettre un point final à sa saga grâce à la parution de son 13e et ultime tome à l’été 2023, quelques mois à peine avant de pouvoir fêter ses 60 ans de carrière (en 2024). Son dessin et son style avaient déjà frappé à la porte des libraires françaises il y a plus de 27 ans, avec la parution du premier tome de Mother Sarah, série mythique scénarisée par Katsuhiro Ōtomo, mais jamais rééditée depuis. On l’avait alors recroisé quelques années plus tard lors de la parution de sa poignante adaptation du Cheminot et de Love Letter (réédition de luxe à paraître en janvier 2024, toujours chez Mangetsu), deux histoires déjà tirées des romans de l’écrivain Jirô Asada. Reprenant ses pinceaux et sa plume pour adapter son œuvre historique éponyme, Takumi Nagayasu y laisse une partie de sa santé, mais parvient tout de même à y mettre un point final après une parution mouvementée qui s’est étalée sur 16 années.

MIBU GISHIDEN © 2014 by Jiro Asada, Takumi Nagayasu/HOME-SHA Inc. – Traduction : Alexandre Goy