Midi-Minuit
Deux cinéphiles, l’un belge et l’autre français, sont passionnés de cinéma « bis » et surtout du cinéma populaire italien considéré de seconde zone. Ils guettent ainsi les rétrospectives des maîtres du genre, dont Dario Argento n’est que le plus connu. Les deux compères, pigistes dans la presse ciné, se rendent en Italie pour rencontrer le réalisateur Marco Corvo, cinéaste mythique que nul n’a revu depuis 25 ans, après son dernier film achevé. Alors que le maître se livre petit à petit, sous la haute surveillance d’un cerbère ultra-sexy, mi-gouvernante mi-infirmière, et rappelant les héroïnes de ses films, un mystérieux criminel commence à semer les cadavres. Dans leurs yeux crevés se cachent un terrible secret, peut-être celui de la disparition de l’actrice fétiche de Marco Corvo …
Il fallait bien une BD pour évoquer les « gialli », ces films de genre italiens où cow-boys, martiens, gladiateurs, pistoleros, vampires et assassins masqués se mélangent. Émergeant dans l’après-guerre, explosant au début des années 70 dans le sillage de Dario Argento, le genre s’essouffle au début de la décennie suivante, avec la fermeture des petites salles de quartier – comme le Midi-Minuit, cinéma du Xe arrondissement parisien, qui a donné son nom à l’ouvrage. Doug Headline – La Pincesse de Sang, Fatale ou encore Nada – réussit le pari de présenter le genre du giallo sans tomber dans la BD-documentaire à thèse, en inventant un polar parodiant le genre et mettant aux prises deux journalistes avec un univers de fiction qui devient réalité. L’intrigue, au découpage minutieux, tient en haleine, et les infos distillées au fur et à mesure font mouche, en mettant en avant un genre qui se révèle bien moins mineur qu’il n’y parait. Car l’audace de ces réalisateurs – Marco Corvo est un vrai cinéaste – tant par les sujets abordés, plutôt transgressifs par le sous-texte politique, que par la recherche d’une esthétique audacieuse, apparaît aujourd’hui comme avant-gardiste.
Massimo Semerano – Fondation Babel, Les Enfants du crépuscule – adopte un découpage vif, où les scènes s’enchaînent, où les prises de vue sont variées : on est dans un vrai récit d’action, pas de place à la contemplation ! L’incursion d’images de films dans le texte n’est pas vaine : elle sert le propos et apporte une documentation appréciable. Le dessinateur n’hésite pas à passer à l’aquarelle, changeant la texture visuelle, pour évoquer le passé et les espoirs déçus.
Midi-Minuit est une BD majeure sur un segment du 7e art pas si mineur. La démonstration est réussie, le plaisir est au rendez-vous et l’envie de piocher dans la filmographie sélective en fin d’ouvrage est grande !
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