Mishima Boys – Coup d’État #1
Eiji Otsuka (lire notre interview) est un spécialiste confirmé du Japon d’après-guerre. Si Yukio Mishima, dans son Pavillon d’or, cherchait à comprendre pourquoi un moine bouddhiste a mis le feu au temple Kinkaku-ji en 1950, Otsuka se consacre à l’intimité des jeunes criminels de la décennie suivante. Rien de plus logique pour le second que de prendre le premier, homme de lettres qui a largement commenté les angoisses ayant suivi la défaite du pays, comme figure de proue du sulfureux Mishima Boys. “Boys” comme ces jeunes Japonais tourmentés, présentés comme les acteurs d’une pièce de théâtre nô métaphorique, orchestrée par l’écrivain, et responsables des faits divers emblématiques qui sont abordés dans le titre – tel l’assassinat du chef d’un parti de gauche par un nationaliste de 17 ans, Otoya Yamaguchi, ici désigné par la lettre Y. Le scénariste imbrique leurs parcours comme s’ils étaient interchangeables, ancrés dans un même flux. Jusqu’à semer le doute et brouiller les frontières entre réalité et hallucination.
Si la base est excellente, la dessinatrice Seira Nishikawa – prometteuse mais peu expérimentée – délivre un travail inégal. Dans un récit aussi piégeux, le manque d’attributs reconnaissables de certains personnages rend l’ensemble trop labyrinthique, tandis que l’on se demande (pour de mauvaises raisons) si untel est bien le même homme qu’à la page précédente… A contrario, le trait dégage beaucoup de charme, malgré un degré de précision variable, tandis qu’une Nishikawa inspirée nous gratifie d’expérimentations visuelles et de vues saisissantes, à l’image de ses allégories graphiques de la noirceur humaine. Tout comme sa série jumelle Unlucky Young Men, Mishima Boys, avec son assemblage de plans sans onomatopées ou autres codes archétypaux, s’écarte du manga scolaire. Telle sa jumelle, encore, l’œuvre est pointue et exigeante. Récit historique documenté, peinture passionnée des cœurs incandescents, ce premier tome (sur deux) à l’édition soignée ne manque pas d’arguments mais demandera au lecteur d’enjamber ses aspérités.
© OTSUKA EIJI, NISHIKAWA SEIRA 2015
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