Mitterrand, un jeune homme de droite
Brillant tennisman, le jeune François aspire plutôt à des études de droit ou à l’écriture, lui qui a « peu d’indulgence pour les médiocres »… Dans le contexte de la montée des nationalismes, il louvoie avec la droite antirépublicaine, côtoie les activistes de la Cagoule et les partisans de l’Action Française, échappe au stalag en Allemagne avant de rejoindre la France et, plus tard, le gouvernement de Vichy dans la légion française des combattants de la révolution nationale, puis au commissariat au reclassement des prisonniers. Entre admiration pour Pétain et engagement dans la Résistance (il aide à l’évasion du Général Giraud), l’itinéraire du jeune François Mitterrand, tortueux, résiste à toute tentative d’analyse définitive.
Lecteur érudit des Thibault de Roger Martin du Gard, Mitterrand a d’abord méprisé la politique avant de devenir président de la Ve République quarante plus tard. La BD de Philippe Richelle et Frédéric Rébéna s’intéresse aux jeunes années de Mitterrand (1935-1945) et tente de cerner, sans forcément éclairer, la trajectoire ambivalente d’un homme qui s’est construit au contact de la droite antirépublicaine, de la bourgeoisie catholique ou des fonctionnaires de Vichy.
À propos de François Mitterrand, on a trop vite fait de ne retenir que son passé de vichysto-résistant, position intenable pour l’entendement. Oui mais voilà, le jeune François a côtoyé les milieux les plus divers, a louvoyé au gré des circonstances, s’est construit tel un caméléon sans véritable plan de carrière, au gré des opportunités mais avec un engagement, semble-t-il, toujours sincère. C’est là tout l’intérêt de la BD de montrer cette irréductible complexité, documentée jusqu’au détail. Et plutôt que de lever l’ambiguïté, les auteurs la creusent, sondent les contradictions, révélant un homme cultivé, posé et sûr de son talent (« le Goncourt sinon rien »), droit et exigeant, froid et charismatique. Opportuniste animé de convictions profondes, ouvert et hautain, le jeune Mitterrand demeure insaisissable, lui qui « de toute façon, revendique le droit de changer d’avis… ».
Sans juger mais à l’appui des faits (rien que les faits), les auteurs brossent les contours d’un mystère et – c’est là leur réussite – laissent le lecteur seul arbitre. Le dessin de Frédéric Rébéna, tout en souplesse et expressivité, saisit lui le caractère impavide du personnage avec brio. Voilà donc une BD brillante sur un sujet pas facile. Bravo !
Publiez un commentaire