Monde parallèle
Un homme marche. À une cadence régulière. Sur les trottoirs de sa banlieue, dans les escaliers des tours, à travers les halls et les places, entre les immeubles. Le long des friches, du terrain de foot, du supermarché. Là où zonent ceux qui tiennent les murs, ceux qui cherchent, comme lui, à faire passer le temps de journées trop longues. Trop mornes, trop vides. À se sentir inutile car il n’y a pas de boulot. Alors pour ne pas boire, ne pas jouer aux courses ou ne pas faire plus grave encore, il marche. Sans cesse. Et résume : « On est des clous. Il faut faire son trou et baisser la tête. »
Voilà un exercice de style à la fois très graphique et très viscéral. Comme quoi, on peut parler de problèmes sociaux contemporains sans passer obligatoirement par le reportage, l’autobiographie ou le témoignage. Clément Charbonnier Bouet, qui signe ici son premier livre, propose ainsi une bande dessinée sans récit, simplement portée par un monologue intérieur d’une poésie sombre et rêche, autour d’un cheminement sans fin, celui d’un banlieusard coincé dans sa cité. Littéralement sans horizon, car les lignes droites des rues, des rails ou des murs l’empêchent de sortir, comme les barbelés entrecroisés d’une frontière. Son trait noir épais trace des zones sans gris, en contraste de néant et de lumière crue, mais aussi des quadrillages, blocs ajourés et lignes sans fuite, dans des cases aux rares personnages comme des pantins figés, et des pages confinant parfois à l’abstraction. Parfois un peu répétitif ou hermétique, le livre parvient à maintenir l’intérêt par un dessin pleine d’humanité dont on voit les raccords de feutre (l’auteur n’a pas poussé le côté géométrique et froid jusqu’à tout tracer à l’ordinateur, ouf!) et par un format relativement court (96 pages mais peu de cases et de textes) qui met en valeur des mots secs et forts. Un parti pris graphique audacieux sur un thème plombant : il fallait oser, et le résultat est tout à fait prometteur.
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