Yann, comment êtes-vous arrivé dans l’équipe ?
Yann : J’ai rencontré Jean David Morvan à Angoulême, et il m’a parlé de l’histoire qu’il envisageait pour le 50e Spirou. Puis il m’a demandé de l’écrire avec lui. Moi, quand j’entends « Spirou », je suis toujours partant !

Sur quelle idée vous êtes-vous mis d’accord ?
Jean David Morvan : Pour le 50e tome, nous voulions faire une sorte de Ultimate [une série de Marvel qui imagine de nouvelles origines aux principaux super-héros, tels Iron Man ou les X-Men]. L’idée était de replacer les personnages dans leur contexte, car on ne peut penser qu’un jeune lecteur découvrant Spirou aujourd’hui veuille se taper les cinquante autres épisodes pour comprendre d’où il vient.
Yann : Nous voulions aussi rendre hommage aux aventures précédentes. Nous avons envisagé des tas de solutions. Jean David avait par exemple proposé que l’album s’ouvre sur l’enterrement de Spirou, puis qu’on se replonge dans son passé. Mais aucun lecteur n’aurait sérieusement pu croire à la mort de ce héros… Alors, nous avons opté pour un désintégrateur d’objets, qui renvoie son utilisateur – Spirou – à l’époque où il se trouvait en contact avec ces objets. C’était plus simple…

Parmi les aventures que Spirou revit, vous n’avez choisi que des histoires signées Franquin…
Yann : C’était par souci de cohérence. Nous ne pouvions mélanger trop de graphismes différents… Et puis, le choix des objets emblématiques de la série s’est fait de lui-même : le costume du Gorille a bonne mine, le masque en latex de La Mauvaise tête, la casquette militaire de l’album Le Dictateur et le champignon…
Jean David Morvan : Chaque repreneur de Spirou a jusqu’ici fait un truc personnel, sans véritable cohérence avec les épisodes précédents. Moi, j’aurais bien aimé caser le boxeur de Rob Vel ou les personnages de Nic et Cauvin. Mais il faut bien préciser que l’irruption de l’actuel Spirou dans des scènes déjà connues n’occupe pas tant de place que cela dans l’album. Il y a plein d’autres choses ! Finalement, il a semblé plus simple de ne reprendre que des épisodes signés Franquin.

Pour écrire un Spirou, doit-on forcément être nostalgique ?
Yann : La nostalgie est liée à l’ancienneté des personnages. Il y a un côté rassurant à se replonger dans le passé et à lire une série aussi vieille, car on sait qu’elle ne va pas être abandonnée après deux épisodes…
Jean David Morvan : Mais Spirou n’a jamais été nostalgique ! Franquin ne regrettait jamais le passé, il racontait son époque.
Yann : C’est vrai, mais il faisait partie des pionniers, il y avait alors tout à inventer. Pour moi, des séries de ce genre sont marquées par une période précise. On devrait d’ailleurs les figer quand elles atteignent leur apogée. Comme Ric Hochet, par exemple : ses auteurs auraient dû bloquer leur héros dans les années 60, ça marcherait beaucoup mieux. Regardez Blake et Mortimer, ils n’ont pas changé d’époque et leurs albums fonctionnent toujours.

Pensez-vous que Spirou aurait dû rester dans les années Franquin ?
Yann : Oui, peut-être. D’ailleurs, son costume de groom n’aurait pas dû lui être enlevé dans la série principale. Il n’a pas d’impact sur l’histoire : les enfants ne voient généralement en lui qu’un costume rouge avec des boutons ronds – sans savoir ce qu’est un groom -, tandis que ce vêtement fait office de madeleine de Proust pour les anciens lecteurs. Dans Le Tombeau des Champignac, Fabrice Tarrin et moi avions choisi de peindre une ambiance provinciale figée, sans téléphone portable… Nous pensions alors que cet album prendrait la succession de la série principale. Mais il est devenu un one-shot.
Jean David Morvan : Pour moi, Spirou a toujours été de son temps. Donc voir Spirou avec un téléphone portable ne me choque pas ! Cette évolution adulte du personnage a été initiée par Tome et Janry, surtout depuis le lancement du Petit Spirou : il y avait d’un côté l’enfant, de l’autre l’adulte. Il me semblait donc logique de poursuivre dans cette voie-là.

Sans trop en dévoiler, on peut dire que vous avez écrit une fin d’album pouvant chambouler toute la série…
Yann : Il fallait que la fin justifie tout le micmac de l’histoire ! Je suis content de cette chute, qui a un côté surprenant et tonique. Elle est censée rebooster la série, les repreneurs vont pouvoir s’amuser !
Jean David Morvan : Attention, rien n’est définitivement bouleversé. Nous avons laissé la situation ouverte, puisque Fantasio est en mesure de retourner dans le passé pour tout rétablir. Les auteurs qui prendront la relève pourront faire comme si cette situation n’a jamais existé…
Yann : Au fil des albums, Spirou et Fantasio sont plus ou moins devenus interchangeables. Avec notre conclusion, nous avons institué une vraie différence entre eux. Je pense que ce serait une bonne idée de rebondir là-dessus…

Jean David Morvan, c’est votre dernier Spirou. Avez-vous des regrets de quitter la série ?
Jean David Morvan : Non, José Luis Munera et moi avons eu du plaisir à créer quatre épisodes de Spirou. Nous ne pouvions pas refuser une telle proposition. Mais, depuis notre reprise de la série, il y a eu de nombreuses occasions manquées, de changements de direction éditoriale à Dupuis, de difficultés extérieures… Nous avons toutefois réussi à faire ce que nous voulions, notamment sur ce 50e tome. Nous avons pris des risques et nous avons fait de notre mieux.

Yann, vous poursuivez l’aventure…
Yann : Pas pour la série principale. Mais je prépare un one-shot dessiné par Olivier Schwartz, qui se déroulera pendant la Seconde Guerre mondiale. Il s’intitulera Le Groom vert-de-gris et on y retrouvera l’esprit de Rob Vel et Jijé.

Propos recueillis par Benjamin Roure

Lire aussi la critique de l’album.
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Spirou et Fantasio #50 – Aux sources du Z
Par José Luis Munuera, Jean David Morvan et Yann.
Dupuis, 9,20 €, le 5 novembre 2008.

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Images © Dupuis