Comment pouvait réagir Kawai, détective privé, en se voyant confier cette affaire aussi obscure que sa mémoire ? Le voilà dans un motel sordide, au fin fond de la Russie, conduit par les instructions d’un riche et insaisissable commanditaire qui sait tout de son passé. Kawai n’est pas seul : comme lui, trois hommes et une femme attendent, méfiants, l’apparition d’un certain Mr. Nobody. Puis le téléphone sonne. Comment l’enquêteur pouvait-il imaginer le bain de sang qui suivrait ?

Quelle ambiance ! Par son trait inondé de noir, vibrant, tout en jeu de hachures à croisillons, Gou Tanabe (Kasane, The Outsider) nous immerge dans les abysses de l’angoisse et de la paranoïa. Particulier, son découpage est formé d’instantanés au cadrage cinématographique, où il ne s’agit pas tant de capter le mouvement que de photographier l’image-clé, le détail éloquent. Et si l’action manque de lisibilité en quelques rares occasions, elle reste toujours vivante et expressive. On pense aux films noirs, à Hitchcock, aux grandes figures du suspense. Car on ne le lâche pas, ce Mr. Nobody intrigant, bien construit et ce sans céder à la surenchère de twists qui gangrène le genre – ou comment garder le bon goût de la simplicité. Peu de personnages, peu de décors, mais un héros bien campé et des atmosphères proprement fascinantes. Un modèle de thriller brut, épuré, qui désobéit aux clichés du manga et trace sa propre voie. Avec trois tomes d’annoncés, gageons que le récit ne s’éparpillera pas en chemin.

© Gou TANABE / Tokuma Shoten