Naoyuki Ochiai transpose « Crime et châtiment » en manga
Invité au festival Japan Touch #12, Naoyuki Ochiai nous a parlé de sa carrière, de ses influences et de son adaptation de Crime et Châtiment : Syndrome 1866. Dans ce manga, l’auteur s’attache à décrire avec précision les actes et les pensées d’un jeune tueur. Loin d’être anodin, son meurtre va bouleverser sa vie… Ouvert et disponible, le mangaka, qui fête ses 20 ans de carrière cette année, se confie, même s’il est peu habitué aux interviews françaises, moins convenues que leur pendant japonais.
Comment êtes-vous devenu mangaka?
Alors que j’étais encore étudiant à l’université, j’ai apporté un manuscrit et des planches à un éditeur, avec qui j’ai gardé contact; il m’a permis de découvrir le milieu. Après l’université, je suis devenu assistant de Noboru Rokuda [inconnu en France, il a pourtant produit de nombreux titres au Japon]. Un an après mes débuts sur la planche à dessin, mes premières histoires sont parues chez Futabasha.
Quels sont les auteurs qui vous ont influencé?
Il y a bien entendu Osamu Tezuka, qui est le plus connu et le plus influent. Viennent ensuite Noboru Rokuda et l’assistant en chef qui nous dirigeait à l’époque. Je suis également très influencé par les films et les romans que je lis. Ma source d’inspiration principale reste tout de même le shôjo manga.
D’où vous vient alors cette envie de faire du seinen ?
J’aime énormément le shôjo manga, mais très peu de mangakas masculins travaillent ce genre au Japon: il est presque exclusivement réservé aux femmes. Ce qui me plaît dans le shôjo, c’est le traitement des personnages et de leur évolution psychologique, beaucoup plus poussé qu’ailleurs, grâce à des spécificités narratives comme les monologues intérieurs ou les longues descriptions. Mon but est alors de lier deux objectifs : écrire pour un public masculin adulte, tout en y intégrant un mode narratif intimement lié au shôjo.
Pourquoi avoir adapté Crime et châtiment ?
Fedor Dostoïevski est un des auteurs étrangers les plus connus au Japon et ses œuvres restent encore très populaires. Quand j’ai lu ce livre, j’ai été frappé par la justesse du propos et me suis reconnu dans le personnage principal. J’en suis même venu à me demander si je n’étais pas cet individu… J’ai pensé que beaucoup d’autres Japonais pouvaient se retrouver dans cet homme et être touché par la description de ses pensées et de ses tourments. C’est pourquoi, je tiens à ce que les lecteurs qui ont apprécié mon adaptation découvrent le roman Crime et châtiment.
Dans votre œuvre, la société décrite est loin d’être idyllique. Est-ce de cette manière que vous percevez le monde d’aujourd’hui ?
Ma pensée ne va pas aussi loin, mais il est clair qu’il y a une partie de vrai dans cela. Dans la vie, quoi qu’on fasse, il arrive toujours qu’on blesse quelqu’un, même involontairement, même si cela ne va pas aussi loin que dans mon manga. J’ai repris cette idée principale et je l’ai étirée pour en faire la trame de fond de ma série.
Votre héros a tué, il est tourmenté par son acte, mais va pourtant jusqu’à provoquer les policiers qui mènent l’enquête, alors qu’ils doutent de son innocence. Pensez-vous qu’un tel acte peut être nié et caché pendant des années, sans remords?
Tout d’abord, je pense que la police d’aujourd’hui n’est pas aussi faible que dans mon livre, et que, dans la réalité, l’affaire aurait été vite conclue. C’est un des artifices de la série, qui la différencie des autres mangas de genre policier. Ici, le but n’est pas de décrire une enquête de police plausible, mais bel et bien de montrer ce que ressent celui qui a commis l’irréparable.
La peine de mort est toujours en vigueur au Japon. Qu’en pensez-vous ? N’y a-t-il aucune rédemption possible une fois l’acte commis?
Je pense qu’il y a des êtres humains qui peuvent pardonner, et d’autres qui ne peuvent pas. Selon moi, au Japon, les partisans de la peine de mort donnent beaucoup d’importance aux sentiments de la famille de la victime. La pensée japonaise est surtout tournée vers le cœur et se centre sur l’apaisement de l’âme de la victime, plus que sur un fondement théologique. En infligeant la peine de mort, la famille pourra faire le deuil et s’apaiser. La rédemption n’est pas le point central de la pensée japonaise.
La prison ne peut-elle être un premier pas vers la réintégration ?
Il est bien sûr toujours possible de devenir un nouvel homme, mais je pense que c’est surtout la punition qui est au centre du système pénal. C’est en tout cas la manière courante de voir des Japonais.
Vous abordez aussi le sujet de la prostitution, notamment des très jeunes femmes…
Il n’est pas si fréquent au Japon de voir des adolescentes vendre leur corps, mais certaines en arrivent à le faire. Je pense que cela dépend de nombreux facteurs et qu’il n’est pas facile de savoir pourquoi. C’est rarement pour des raisons d’argent qu’on en vient là au Japon. Je pense surtout qu’il y a des personnes qui ressentent un fort sentiment de vide intérieur et en viennent à mettre leur corps à disposition.
Votre œuvre montre des situations extrêmes sans tomber dans le voyeurisme ou le sensationnalisme. Quel est votre opinion à propos de la loi pour la protection de la jeunesse (qui a pour but de durcir la législation à l’égard des mangas et des animes) ?
Je trouve qu’il y a quand même beaucoup de n’importe quoi dans la production actuelle. Dans un sens, cette sorte de censure serait utile; mais uniquement dans une certaine mesure, car il ne faut pas mettre tout le monde dans le même panier. Les auteurs doivent être responsables de ce qu’ils créent et être conscients de ce qu’ils font et donnent à voir. Une telle loi pourrait être intéressante à partir du moment où elle n’est pas trop restrictive: elle servirait alors de cadre général, permettant d’étudier chaque titre au cas par cas. Elle pourrait également faire en sorte que des ouvrages pour adultes ne soient pas disponibles pour les enfants.
Propos recueillis par Rémi I.
Merci à l’auteur, à Yano Yuki (éditeur japonais), Pascal Ferrante (traducteur), à Bruno Pham (Akata) et à l’équipe de la Japan Touch pour leur disponibilité.
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Syndrome 1866.
Par Naoyuki Ochiai.
Delcourt, 7,95 €. 6 volumes parus en France, 9 au Japon (série en cours).
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TSUMI TO BATSU © 2007 by Naoyuki Ochiai / FUTABASHA PUBLISHERS LTD., Tokyo
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