Neonomicon
Quand Alan Moore, le plus ésotérique et érudit des scénaristes de bande dessinée, imagine un thriller contemporain autour des mythes de Chtulhu, le résultat est forcément un peu dingue. Car l’auteur anglais connaît sur le bout des doigts l’oeuvre du tourmenté H.P. Lovecraft, et sait en saisir la poésie suintant l’angoisse. Mais comment intégrer cette mythologie mentale et son imagerie « tentaculesque » dans un récit moderne et urbain, sans tomber dans le grand-guignol ou le trop cérébral?
Soyons clair, Alan Moore ne réussit pas l’impossible. Après un prologue bizarre mettant en scène un agent du FBI sur les traces de ce qu’il pense être un glauque trafic de drogue, sa longue histoire prend la forme d’une enquête à tiroirs et à rebondissements, qui alterne molles scènes d’action, vision délirante et séquences trash. Mais, curieusement, alors qu’on était tenté de lâcher l’affaire en cours de route, Neonomicon reprend du poil de la bête dans son dernier volet, notamment grâce à ses deux flics de choc, duo efficace à la verve fleurie. Il faut d’ailleurs aller jusqu’au bout de l’intrigue pour percevoir l’ambition réelle de Moore avec ce feuilleton gore et sexuel – la dernière partie, audacieuse et dérangeante, est clairement réservée aux adultes. D’ailleurs, on ne s’étonne pas de retrouver aux pinceaux Jacen Burrows, dessinateur de l’outrancier comics post-apocalyptique Crossed de Garth Ennis, dont les anatomies déformées car trop étirées fonctionnent bien dans l’univers conçu par Moore.
Au final, si on tient jusqu’à la dernière page et que les hallucinations loveacraftiennes ne rebutent pas, Neonomicon relève avec un certain talent un défi compliqué et se pose comme une modernisation relativement ambitieuse de l’univers du créateur de Chtulhu.
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