Nicoby et Aeschimann enquêtent sur « La Révolution Pilote »
Nicoby est un spécialiste des récits sur la BD, auteur avec Joub de Mes années bêtes et méchantes (sur un témoin de l’époque Hara Kiri) et de Dans l’atelier de Fournier. Mais cette partie de son travail s’était souvent révélée peu convaincante. Alignements d’anecdotes sans plus-value, ses précédents livres étaient oubliables.
Bien qu’associé cette fois-ci avec le journaliste Eric Aeschimann, spécialiste de Mai 68, on craint au début les même écueils. La Révolution Pilote rend compte en BD d’entretiens avec différents acteurs majeurs de la revue, afin d’avoir leur ressenti sur une fameuse réunion de 68 où Goscinny s’est retrouvé violemment accusé par ses pairs. Aeschimann considère en effet, sans doute à raison, qu’il y avait là une date clef, marquant un virage dans la revue et portant en elle le vent de rébellion menant à la création de revues majeures comme Métal Hurlant ou L’Écho des savanes.
Les débuts patinent un peu : Gotlib, premier interviewé, n’était pas présent à la réunion et semble rétif à parler. Sa bonhommie est bien croquée mais on sent le sujet sensible, les auteurs – mis en scène en train d’interviewer ou de créer – tentent d’ajouter une dose de réflexion et d’humour mais l’effet est peu convaincant. Et pourtant, au fil des pages les craintes s’estompent. Bien sûr, on apprend finalement peu de choses sur cet événement que peu d’auteurs ont envie d’aborder frontalement, mais le déroulé de leur parole déborde largement de ce cadre et les portraits de Mandryka et Fred ne sont pas désagréables.
Mais c’est celui de Giraud, basé sur un entretien téléphonique peu avant sa mort, qui achève de convaincre. Les auteurs ne pouvant se contenter de représenter un entretien, ils sont obligés de passer par un subterfuge qui s’avère bien plus intéressant. L’entretien est sobrement écrit quand Nicoby l’illustre à travers des scènes oniriques dans lesquels un Giraud démiurge marche dans un monde en court d’effondrement, qu’il reconstruit et modèle à sa guise. Outre l’émotion propre au sujet, sa mise en bande dessinée prend tout son sens.
On retrouve cela chez Druillet, bien vivant mais pour lequel les auteurs s’amusent avec une dérision certaines de certains codes grandiloquent du dessinateur : sa masse imposante, ses grandes déclarations, les yeux devenant soudain rouge… Si l’anecdote reste le fil constitutif, sa transcription intelligente rend la forme pertinente : il ne s’agit plus de simples entretiens, qui pourraient aussi bien être des textes, mais d’un véritable dialogue. Cela retombe un peu avec le dernier portrait, celui de la grande Claire Bretécher, mais le personnage a une telle force qu’on reste conquis.
La Révolution Pilote est loin d’être un livre d’histoire, mais ranscrit avec passion et efficacité les souvenirs de très grands auteurs. Si l’aspect journalistique promis par l’éditeur n’est clairement pas tenu, on dispose là d’une bande dessinée de bonne facture, sans doute réservée aux amateurs, mais offrant un matériel intrigant qui donne envie de pousser la réflexion plus loin.
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La Révolution Pilote.
Par Nicoby et Éric Aeschimann.
Dargaud, 17,95 €, le 16 janvier 2015.
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