Noël 2017 : notre sélection beaux livres (3)
Troisième volet de notre choix de jolis bouquins et autres intégrales pour les fêtes (allez jeter un oeil aux deux premiers, ici et là). Où l’on parle de rêves, de gaffes, d’histoire du 9e art, de détournements, d’aventures….
Jones et autres rêves
Après quatre ans d’existence, l’éditeur nantais Ici Même inaugure une nouvelle collection, Mordicus, avec le splendide Jones et autres rêves, recueil d’histoires surréalistes imaginées par l’auteur italien Franco Mattichio entre 1985 et 1992. Les aventures de Jones mettent invariablement en scène un gros chat, sorte « d’animal vagabond avec un bandeau sur l’oeil ; un peu pirate et un peu seigneur, il possède une bonne dose de curiosité panachée d’une paresse congénitale ». Jones rêve ou cauchemarde en quête d’un chapeau, tente en vain de se suicider, lance le poids, joue avec les panneaux routiers ou rentre à la maison sans nouvelles du monstre du Loch Ness. Se promener aux côtés de Jones, c’est tromper le temps, sonder l’absurdité de l’existence, être habité par la force créatrice des rêves. On musarde, on se perd et on s’égare aux côtés d’un ami jamais dupe de ses limites, avec le sourire et dans l’introspection. On rit beaucoup aussi, une manière de sauver ce qui nous échappe. Des histoires courtes au format pleine page, l’auteur fait admirer son style fait de hachures resserrées dans des ambiances énigmatiques. Qui rappellent le surréalisme de Magritte, l’absurde des pièces de Ionesco et de Samuel Beckett, influence revendiquée par l’auteur au détour de quelques cases. Et pour mieux s’imprégner de la poésie et du ton plein de dérision de ce beau livre de 260 pages, ne manquez pas l’exposition que lui consacre la galerie Martel à Paris du 24 novembre au 13 janvier.
Ici Même, 256 p., 29 €.
Gaston, biographie d’un gaffeur
Les 60 ans de Gaston Lagaffe continuent ! Entre une expo à la BPI du Centre Pompidou, et un film qui s’annonce, les éditions Dupuis profitent de l’anniversaire pour rééditer cette Biographie d’un gaffeur. C’était le numéro 26 de la collection « Gag en poche » dirigée par Maurice Rosy, qui publia à partir de 1965 une soixantaine de recueils de BD humoristiques en petit format, pour faire comme la littérature et son Livre de poche à l’époque récemment lancé. Dupuis reprend donc ce recueil un peu oublié, dans son format quasi originel pour lequel Franquin et Jidéhem durent couper, coller, redessiner les gags de Gaston qui n’avaient pas été imaginés pour ces drôles de dimensions. Un joli petit livre, avec une jaquette élégante, plein de perles de Lagaffe en noir et blanc. Très anecdotique et complètement dispensable, mais amusant.
Dupuis. 128 p., 28 €.
Comics, une histoire de la BD, de 1968 à nos jours
Encore une histoire de la bande dessinée. Mais ce volume-là a le mérite de démarrer à l’âge adulte de la BD, c’est-à-dire à la fin des années 1960. Où, concomitamment, Robert Crumb se lâche dans Zap Comix, Forest choque avec Barbarella et Yoshiharu Tsuge change la donne au Japon dans la revue Garo. Au fil de leur ouvrage, les Américains Dan Mazur et Alexander Danner n’ont ainsi de cesse de faire des allers-retours entre ces trois territoires du 9e art, États-Unis, Japon et Europe (la France surtout, mais aussi l’Espagne, l’Italie et un peu le Royaume-Uni). Découpé en trois parties chronologiques, ce volume survole chaque période et chaque marché en mettant en exergue les œuvres incontournables, s’attardant surtout la partie la plus créative du 9e art, c’est-à-dire la BD d’auteur et/ou alternative. Sur quelque 300 pages, difficile de s’ennuyer donc, car les textes sont concis et dynamiques et toujours mis en vis-à-vis avec des planches bien choisies (parfois un peu à l’étroit dans ce format comics, mais bon…). Un ouvrage synthétique et pertinent, idéal pour comprendre l’état de la création en bande dessinée aujourd’hui, qui doit autant aux pionniers (McCay, Töpffer… pas étudiés ici) qu’à la génération issue des revues RAW, Métal Hurlant ou Garo.
Hors Collection. 320 pages, 35 €.
Variations
« La bande dessinée me laisse perplexe. (…) Je suis bien obligé de le reconnaître, au fond je n’y comprends rien. » En avant-propos de ce livre, Blutch avoue ses « égarements » dessinés, « du pastiche à la satire, du reportage à l’autobiographie, de l’épopée à l’essai, du témoignage au conte ». Dans Variations, un beau livre au format généreux, il livre sa vision de pages soigneusement choisies dans son panthéon très personnel de la BD. À sa moulinette graphique, en noir et blanc, il passe Les Pieds Nickelés, Blake et Mortimer, Tintin, Lucky Luke ou Astérix, mais aussi Zil Zelub de Guido Buzzelli, Le Petit Cirque de Fred, Les Eaux de colère de Hermann ou Salades de saison de Claire Bretécher. « En pressant ceux qui nous ont devancé pour en extraire le jus, je ne cherche pas à retrouver des émotions passées, fanées, mais plutôt à en découvrir de nouvelles, cela en m’asseyant littéralement à leur place, en mettant mes pas dans les leurs, afin de les comprendre ; et comprendre c’est créer.« Ce « travail non prévu ni planifié » – qui a pris l’auteur « par surprise » – ravit, jusqu’à l’émerveillement.
Dargaud, 64 p., 29,99€.
Pepito
Ceux qui avaient lu les aventures de Pepito alors enfants avaient eu la joie, en 2012, de les relire dans un superbe livre édité par Cornélius, premier volume d’une anthologie. Pour les autres, ce fut une précieuse découverte. Pepito revient donc en 2017 dans un deuxième opus (sur trois) toujours plus beau. L’éditeur, passionné par le travail de Luciano Bottaro, a voulu rendre un hommage appuyé au talent de l’auteur italien, largement spolié de son vivant. Disons-le clairement, l’ouvrage est splendide. Il réunit douze histoires en noir et blanc ou en couleurs, publiées entre 1958 et 1967, qui s’appuient sur la reproduction d’originaux, des copies remaniées par l’auteur et des montages. Il est important de souligner la qualité du travail de restauration car il permet d’apprécier à sa juste valeur l’impeccable graphisme de Bottaro, une ligne claire fluide et ronde qui respire la jovialité et traverse les époques sans vieillir. À l’image de cette petite famille de pirates, malicieuse et pleine de ressources, parfois confrontée à des phénomènes étranges (La Guerre des fantômes) ou des illusions perdues (Ventempoupe et les 40 voleurs), tel Ventempoupe, aussi riche que désargenté. On prend plaisir à retrouver Pepito mais aussi tous ces personnages vifs – Ventempoupe, le Gouverneur la Banane, le lieutenant Crochette, Bec-de-Fer – embarqués dans histoires de gros sous et de rhum à bord de la Cacahuète. Aussi fantaisistes que drôles, les histoires de Pepito conjuguent exotisme, suspense, ironie et légèreté, pour un résultat immédiatement séduisant. Leurs aventures sonnant comme un défi à l’autorité, le refus de la soumission en bandoulière et la justice pour tous en idéal. Mais surtout Bottaro introduisait une dimension critique dans des récits populaires (avec Carlo Chendi parfois au scénario), une nouveauté à l’époque. Et pour les plus grands, l’introduction intéressante de l’éditeur revient sur un débat très actuel dans le monde de la BD, le statut d’auteur. La vie de Bottaro faisant figure ici d’exemple-type. Ne perdez donc pas une seconde, lisez les aventures de Pepito et redécouvrez l’oeuvre frétillante d’un auteur peu connu de son vivant et pourtant digne héritier de Carl Barks et Floyd Gottfredson. À l’abordage moussaillons !
Cornélius, 236 p., 25,50 €.
Sélection réalisée par Laurence Le Saux, M. Ellis et Benjamin Roure
-
On est d’accord qu’il y a la sélection (1) et la sélection (3) mais pas la 2 ? Ou bien j’ai mes yeux dans ma poche :))
Commentaires