Nuages et pluie
Werner est un Allemand paumé en Indochine, au lendemain de la Grande Guerre. Il traîne sa carcasse émaciée sur les marchés et les chantiers, en quête de petits boulots. Mais sa nationalité de perdant de 14-18 fait qu’il est rejeté partout, alors qu’il n’aspire qu’à réparer symboliquement la mort au front d’un ami, fauché à sa place selon lui. Le laissant avec une cicatrice douloureuse sur la poitrine, comme le poids sur son coeur de la culpabilité et du traumatisme. Il finit par accepter un poste dans une étrange manufacture au Laos, ceinte de hauts murs telle une prison. La nuit, là-bas, il observe une jeune femme aux pieds bandés, et va se laisser envoûter.
Entre portrait introspectif, conte vampirique et fable sensuelle, la scénariste Loo Hui Phang propose un album au parfum entêtant. Comme pour le magnifique L’Odeur des garçons affamés, elle navigue entre les genres pour mieux se laisser happer par le sensitif et le surnaturel, révélateur des passions et obsessions des hommes et des femmes. Dans un contexte historique fort, mais qui reste en arrière-plan, elle dissèque avec une écriture très littéraire – mais jamais trop présente, l’album comme son héros étant plutôt taiseux – les blessures d’un soldat revenu vivant des tranchées, mais marqué physiquement et moralement par ces années de guerre. Et elle le confronte à des interrogations intimes et politiques, qui vont être à leur tour chamboulées par l’irruption du fantastique et de l’érotisme. À la fois froid, dans la distance, et torride, dans le corps à corps, son récit navigue dans des eaux troublantes, fascinantes. Le dessin de Philippe Dupuy y est pour beaucoup, tout en délicatesse et en évocation, sublimé par les couleurs d’Isabelle Merlet. Un livre hypnotique, qui sent le sang, la sueur et le souffre.
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