Nungesser
Le nom de Nungesser est irrémédiablement associé à celui de Coli, avec qui ce pilote émérite a tenté la traversée de l’Atlantique en 1927, à bord d’un avion baptisé L’Oiseau blanc, perdu corps et biens. Mais que sait-on exactement de Charles Nungesser ? De sa jeunesse en Amérique du Sud avant de devenir un héros volant de 14-18? De sa vie après-guerre, de ses tentatives commerciales infructueuses? Et surtout, de ses amours? Fred Bernard s’est penché sur la légende, a tiré un récit fascinant sur un personnage hors du commun, et s’est dégoté un dessinateur au talent éblouissant, Aseyn.
Partant d’une bibliographie finalement assez parcellaire et surtout très hagiographique, Fred Bernard (La Patience du tigre, L’Homme bonsaï…) a une idée scénaristique géniale : faire raconter la vie de Nungesser à sa maîtresse de Saint-Mandé, femme mariée qui apparaît discrètement dans les biographies officielles, mais dont on ne sait pas grand-chose. Avec le style littéraire léger, sucré et drôle de Fred Bernard, c’est donc elle qui décrit le personnage, à travers des lettres ou un journal, qui commente ses faits d’armes – dans un bolide sur les routes des Andes, dans un biplan à la chasse aux Allemands, dans un lit avec une fille de passage attirée par sa notoriété –, qui lui crie son amour indéfectible et rit de cette personnalité têtue et fanfaronne. Dès lors, la fiction nourrie de faits réels passe parfaitement, le point de vue fasciné est accepté puisque venant d’une amoureuse, et permet d’adopter par ricochet une certaine distance vis-à-vis de ce héros hors norme. Un type avide de repousser ses limites, quitte à rester seul et fauché, un homme qui voulait chaque jour écrire sa légende. Et pour dessiner cette légende, largement forgée par sa disparition inexpliquée et son avion jamais retrouvé, Aseyn (Les Autres Gens…) développe un style en noir et blanc évoquant les photos d’époque, choisissant finement quelles images détailler avec soin et quelles autres laisser à l’imagination du lecteur, griffant ou salissant ses cases pour les vieillir… L’ensemble est d’un effet bluffant, à la fois précis et émouvant, la révélation d’un grand artiste en puissance, qui sublime le texte d’un scénariste lui aussi au top de sa forme. Bravo.
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