Occupez-vous des chats, j’pars!
On a peu parlé d’Iris sur Bodoï, tout juste un article sur Le Pouvoir de l’amour et autres vaines romances. Il s’agit pourtant d’une autrice majeure de la vague québécoise du début de notre millénaire. Étudiante en baccalauréat (l’équivalent d’une licence) en bande dessinée, elle appartient à cette génération révélée par les blogs et publie dès 2006 un recueil de ses pages autobiographiques, Dans mes relignes, tout en participant et en publiant de nombreux fanzines. Si elle s’engouffre ensuite dans la fiction avec Justine (La Pastèque, 2011), le feuilleton délirant L’Ostie d’chat (avec Zviane, Delcourt, 3 volumes, 2011-2012), les pseudo-documentaires gaguesques La Liste des choses qui existent (avec Cathon, La Pastèque, 2013-2016) ou sa série au long cours de western initiatique animalier sur fond de blues Folk (La Pastèque, 2 volumes, depuis 2019), elle n’a jamais cessé de publier des fanzines, parfois d’ailleurs prémices à ses futurs albums, ni abandonné l’autobiographie.
Elle publie encore ses pages et raconte notamment une rupture terrible, c’est le fanzine Pognée dans gadoue (2009), où on la voit décider de partir en France pour une résidence, se changer les idées. Pour un nouveau départ ? Elle s’envole donc et, armée de quelques contacts issus eux aussi de cette famille bloguesque (dont Boulet et Singeon), se pose a à Paris en février-mars 2009. Elle y retourne dès juillet pour 4 mois de résidences (qui l’amèneront à Moscou). Ce sont les fanzines Occupez-vous des chats, j’pars !!! (2009) et Little Desperate Iris In Paris (2010). On y découvre une Iris au quotidien, de plus en plus à l’aise avec ce mode descriptif, alternant entre anecdotes gags, surprises partagées, mélancolies ponctuelles, joyeux hasard et, de plus en plus, passion culinaire. Iris va continuer de voyager (et de manger), sans forcément le raconter, produit de nombreux autres fanzines et albums, et se retrouve invitée au Japon en mars 2017, à son grand étonnement – ce qu’elle raconte dans la revue Curium en juillet suivant. Enfin, elle est en résidence à Bruxelles en septembre, ce qui donne le fanzine 28 jours de pluie. Des productions autobiographiques éparses et espacées que seuls quelques fans pouvaient connaître intégralement.
Alors qu’Iris est aujourd’hui clairement installée dans le paysage de la bande dessinée québécoise, l’éditeur Pow Pow a donc décidé de réparer cette injustice en republiant ces fanzines et récits de résidences (tous sauf le premier cité donc). Malgré le caractère récent du matériel, l’approche a cependant été quasi patrimoniale : au-delà d’une simple reproduction des zines, Iris a dessiné de nouvelles planches s’intercalant entre les histoires et les différentes journées racontées. Ces « commentaires », qui recontextualisent, ajoutent des anecdotes, leur apportent une suite ou donnent un pendant alternatif aux histoires racontées, sont imprimés en violet, permettant de les distinguer des zines. Ils sont en réalité très nombreux, quasiment aussi présents (voire plus !) que les récits réédités. Il ne s’agit plus donc de simples commentaires, mais bien de nouvelles aventures, projetant parfois 12 ans en arrière une Iris qui alterne entre la guide gastronomique et la pince-sans-rire se moquant d’elle-même.
La réunion des époques fonctionne étonnamment bien, si Iris s’est réellement aguerrie dans sa carrière, on ne ressent pas de disparité particulière dans un matériel pourtant réalisé à des époques très différentes. Si le ton est parfois décalé ou drôle, c’est plutôt la franchise simple qui frappe, avec une fluidité du dessin qui permet de plonger dans ces étranges périodes, entre enthousiasme débordant et anxiété. Une chose est certaine : malgré une très belle carrière, l’Iris de 2021 ne semble pas débarrassée d’un syndrome de l’impostrice qu’elle trimballait déjà il y a 12 ans. Touchante dans ses questionnements, intéressante dans une vision du monde évitant l’exotisme folklorisant tout en assumant le côté quasi-touriste, elle prend note de ce qu’elle voit et ressent, et le rend étonnamment communicatif.
Un très beau travail d’autrice comme d’éditeur qui permet de rendre visible de manière large des planches souvent publiées de manière très restreintes, ou présentes en ligne, mais laissées à l’éphémère du web. À ce propos, Iris met toujours son site à jour, et l’on peut y lire tout récemment des pages directement liées à la réception de ce livre, il y est question de consulat, du Japon et de nourriture. On ne serait pas surpris que le prochain recueil d’Iris soit un guide gastronomique, le plus fou étant qu’avec son talent, elle serait capable de rendre ça intéressant.
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