Orwell
Il semblerait que Pierre Christin, malgré son grand âge et une confortable place d’honneur reconnue par la profession, ait encore son mot à dire. Après son autobiographie, Est-Ouest, il continue de se raconter – mais cette fois de manière indirecte – à travers la vie d’Eric Blair alias George Orwell, un auteur qui n’a cessé de l’inspirer, tant du point de vue de son activité de scénariste que de son engagement politique.
On y aborde, dans l’ordre chronologique et essentiellement par le biais de la reconstitution documentaire, les grandes étapes de la vie du grand écrivain (1984, La Ferme des animaux) et journaliste : son enfance solitaire dans la campagne anglaise, sa période vagabonde durant laquelle il se convertit au socialisme et se rapproche du petit peuple, puis sa rencontre avec sa première femme et la guerre d’Espagne, à laquelle il participe aux côtés des Républicains, ou encore la Deuxième Guerre mondiale et le blitz de Londres. Le tout, habilement mêlé de citations originales extraites des carnets d’Orwell, et de réflexions des auteurs, sur les relations entre sa vie et son œuvre.
Il ne faut pas s’attendre ici à une folle fantaisie. Le ton est sérieux et posé, tout comme le dessin, et l’ensemble dégage une impression de grande sobriété. Sans pour autant laisser de côté les aspects plus intimes – abordés avec une certaine pudeur –, les auteurs ont privilégié une approche de l’homme par ses prises de position. Ils font ici le portrait de quelqu’un de droit et sincère, dont ses contemporains ont pu confondre l’intégrité morale avec de l’amertume, et dont l’engagement politique était porté par un amour de la simplicité des petites gens.
Collaborateur surdoué des années Pif, Sébastien Verdier illustre cette trajectoire d’un trait sublime, tout en équilibre et en harmonie. Non content de maîtriser à la perfection le découpage et la mise en scène, il fait preuve d’une virtuosité bluffante dans l’encrage et l’utilisation, en particulier, des clairs-obscurs. Seule chose qu’on peut éventuellement lui reprocher, un côté figé, qui sied du coup beaucoup mieux aux scènes contemplatives qu’à l’action. Mais quelles scènes ! Les décors, foisonnants, fourmillent de détails d’une minutie impressionnante, tant dans le mobilier intérieur que dans les scènes de rues et ses vieilles automobiles, et jusqu’aux unes des journaux que lisent les personnages.
De leurs côtés, les dialogues de Pierre Christin sont un brin rigides, parfois jusqu’à en devenir compassés. Mais la structure et les choix narratifs sont intelligents, et la fluidité du dessin fait que ce n’est pas un problème. Surtout, on ressort de cette lecture avec l’impression de sentir quelle sorte d’homme était George Orwell. Probablement parce que le scénariste parvient à saisir sa pensée avec subtilité, et en profondeur, comme s’il s’agissait d’un vieux compagnon de route.
De fait, cet ouvrage est organisé comme un hommage. D’où l’invitation dans cet album de six grands noms de la BD, dont des collaborateurs réguliers de Pierre Christin (André Juillard, Olivier Balez, Manu Larcenet, Blutch, Juanjo Guarnido, Enki Bilal), qui ont chacun illustré, au fil du livre, une ou plusieurs planches en couleur. Outre l’hommage, Christin et Verdier font aussi œuvre de mémoire, comme en témoignent quelques remarques bien senties au sujet de la postérité de l’écrivain, en fin d’ouvrage. Ils y signalent les diverses récupérations idéologiques du travail d’Orwell, notamment par des extrêmes qu’il aurait probablement bafoués de son vivant.
Toutes choses considérées, Orwell est une BD assez à part. La forme éditoriale inhabituelle de l’objet-livre, qui ressemble au format de certains tirages limités, s’en fait d’ailleurs l’écho. Raison de plus pour s’y intéresser. D’autant qu’au final, malgré sa singularité, on reste sur une biographie facile d’accès.
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juillet 10, 2019
loutraPourquoi écrire « petit peuple » ? C’est une expression méprisante… Y a d’autres termes pour qualifier les pauvres, qui sont plus respectueux.
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