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Paco Roca, Espagnol en lutte

5 mai 2014 |

Paco-RocaAprès Rides et Les Rues de sable, l’Espagnol Paco Roca revient avec un album historique fouillé, La Nueve, dans lequel il raconte l’implication des républicains espagnols dans la libération de Paris. À travers un bel entretien imaginaire avec Miguel Campos, vétéran de la division Leclerc, Paco Roca comble les silences de l’histoire et redonne des couleurs au combat antifasciste de la Seconde Guerre mondiale.

Comment vous êtes-vous intéressé à l’histoire des républicains impliqués dans la libération de Paris ?

Le parcours de « La Nueve » est une de ces histoires peu connues. Beaucoup d’Espagnols savent qu’à la libération de Paris il y avait des blindés qui portaient le nom de villes ou de batailles espagnoles, mais peu savent comment ils étaient arrivés là. Quand j’ai commencé à me documenter sur ce thème, je me suis rendu compte que les Espagnols présents à la libération avaient parcouru un long chemin, de l’exil à la création de la division Leclerc, en passant par les camps africains.

Comment avez-vous vous eu connaissance de Miguel Campos ? Pourquoi l’avoir choisi pour raconter cette histoire ?

Miguel Campos est un personnage sur lequel on est relativement bien documenté. Presque tout ce qu’on sait sur « La Nueve » nous vient du journal du capitaine Raymond Dronne, dans lequel il raconte les combats, la lutte et le travail quotidien avec les Espagnols de la division Leclerc. Il décrit Miguel Campos comme un homme courageux, très engagé idéologiquement, avec un instinct pour la bataille. Après la prise de Paris, Miguel disparaît et on perd sa trace.

J’aurais pu centrer mon histoire sur un des deux seuls combattants encore en vie de « La Nueve » mais, contrairement à Miguel Campos, ils n’avaient pas vécu tout ce que je voulais raconter. Miguel m’a permis notamment de parler de l’exil et du débarquement en France. Même si l’entretien avec lui au présent est fictif, j’ai tâché de ne pas modifier le faits qui se déroulent pendant la guerre.

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L’entretien imaginaire était amusant à faire. J’aime bien inventer les détails de la vie quotidienne et m’inspirer de ce que je vois. Par exemple, le profil du garagiste qui vit avec Miguel est emprunté à un éditeur de Delcourt, Grégoire Séguin. Cette partie du livre m’a aussi permis de réfléchir à un autre thème : celui de l’entretien. Comment celui qui pose les questions peut conditionner celui qui est interrogé. Et comment les journalistes, les romanciers ou les auteurs de BD passent d’un thème à l’autre sans se soucier de savoir s’ils bouleversent la vie des personnes qu’ils interrogent, parce que tout ce qui les préoccupe c’est d’avoir, au final, une bonne histoire à raconter.

 

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Comment vous êtes-vous documenté ? Combien de temps vous a-t-il fallu pour faire le livre ?

J’ai beaucoup lu sur la Seconde Guerre mondiale et la guerre d’Espagne pour avoir une vision la plus ample possible. J’ai travaillé deux ans et demi sur ce livre. J’ai compris des choses au fur et à mesure de mon exploration, comme on peut le voir dans la BD. Mais au lieu d’un seul entretien, j’ai interviewé de nombreuses personnes : des historiens, des spécialistes de la seconde guerre mondiale, des proches des combattants de « La Nueve ». Robert Coale, un historien nord-américain qui travaille à Paris, m’a beaucoup aidé à combler les lacunes, ainsi qu’à différencier la légende de la réalité, car tous les pays ont réécrit leur histoire. À part l’entretien, je voulais que tout ce que je raconte soit réel. Je ne voulais pas enjoliver l’Histoire. Par exemple, quand les soldats entrent dans Paris, il y a peu d’action. Ils n’ont pas à tirer. Cela aurait été bien plus spectaculaire si j’avais romancé cette partie mais je préférais en rester à ce qui s’était réellement passé.

 

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nueve_leclercQuel message vouliez-vous faire passer avec La Nueve ?

En premier lieu, je voulais faire connaître aux lecteurs une histoire oubliée en France et en Espagne. De Gaulle avait déclaré que la France avait été libérée par les Français, en oubliant les Nord-Américains, les Anglais et tous les étrangers qui faisaient partie de la division Leclerc : les Polonais, les Algériens, les Belges, les Allemands et les Espagnols. À la même époque dans l’Espagne franquiste, personne n’entendait parler de « La Nueve ».

Je voulais aussi rappeler que les républicains espagnols en exil furent perçus d’abord comme des ennemis de la société. Le gouvernement de Pétain avait reconnu Franco et, en France, en Angleterre ou aux États-Unis, il valait alors mieux être fasciste que communiste. Certains républicains espagnols étaient anarchistes, d’autres communistes, socialistes, ou modérés. Mais vu d’ailleurs, ils étaient tous révolutionnaires. C’est pour cela qu’ils furent si mal traités tant au sud de la France qu’en Afrique du Nord. Or, quand les combattants sont venus à manquer et que le vent a tourné, les armées les ont accueillis à bras ouverts. Ils ont été d’une grande aide car ils avaient déjà combattu pendant la guerre civile et ils étaient profondément antifascistes.

Et puis je trouve que cette lutte est intéressante par rapport à ce que nous vivons actuellement en Europe, avec l’extrême droite qui gagne du terrain sur le thème de l’immigration. Ces gens luttèrent près de dix ans, depuis la guerre d’Espagne jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, pour regagner leurs libertés. D’autres luttes sont encore à mener.

Comment fut reçue votre bande dessinée en Espagne ?Paco Roca_3

Très bien. J’ai reçu plusieurs témoignages de fils d’exilés ou d’exilés. Une femme m’a raconté que son grand père avait embarqué à bord du Stanbrook, puis avait participé à la construction du train transsaharien et était mort dans un camp de concentration algérien. À partir d’une photo que les compagnons de camps de son grand-père avaient envoyé à sa mère, la famille a fait appel à un détective privé afin de retrouver la tombe et de ramener le corps en Espagne.

Êtes-vous influencé par d’autres auteurs de BD historiques ou de reportage ?

Bien sûr, il y a des influences inconscientes, mais j’ai voulu m’éloigner le plus possible de la fiction guerrière, des films de guerre, et des BD de Tardi ou de Maus, par exemple, dont je suis très fan. J’ai tâché de les faire sortir de ma tête et de me concentrer sur les documentaires et les reportages photos de cette époque. Je ne voulais pas avoir la fiction comme référence. Dans les films et les bandes dessinées, les morts sont toujours épiques, le personnage tombe vers l’arrière sous le coup des balles. Dans la réalité, les soldats tombent comme des masses, comme si on les avait déconnectés d’un seul coup.

J’ai voulu éviter les plans amples ou panoramiques et représenter la scène comme une personne pouvait la voir. Le point de vue humain dans la guerre est très limité. Les soldats n’ont généralement aucune idée du déroulement de la guerre à l’échelle mondiale, nationale, ou même au niveau de la bataille qu’ils sont en train de mener. Ils savent seulement ce que doit faire leur section et n’ont qu’une idée en tête : survivre.

Comment avez-vous travaillé le style graphique et les couleurs du livre ?

J’ai voulu différencier le présent du passé. Pour le présent, j’ai cherché un style relâché, un peu comme les croquis d’un carnet de notes. La partie du passé, que j’ai réalisée à partir de la documentation que j’ai trouvée, est davantage travaillée.

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Quels sont vos projets ?

Je réalise une série pour le journal espagnol El Pais semanal sur la vie quotidienne d’un auteur qui travaille de chez lui en pyjama. Je participe également à une campagne de communication de l’ONG Oxfam. Plusieurs auteurs font des reportages sur les actions de l’ONG dans certains pays. Il y a un mois, j’ai passé une vingtaine de jours en Mauritanie afin de comprendre comment y arrivait l’aide internationale. Je vais en faire une petite histoire qui sera publiée sur le site d’Oxfam, puis dans un livre avec les récits des autres auteurs.

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Propos recueillis par Céline Bagault
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La Nueve.
Par Paco Roca.
Delcourt, 29,95 €, avril 2014.
Images © Paco Roca/Delcourt

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