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Paru Itagaki : une étoile est née

13 mai 2019 |

Paru Itagaki photoAprès quelques histoires courtes mettant en scène des animaux anthropomorphes, Paru Itagaki s’est attaquée à Beastars, sa toute première série. En cours de publication depuis seulement deux ans, elle est déjà une série multirécompensée, son tirage s’élève à plus de 2 millions d’exemplaires au Japon et une adaptation en série animée est annoncée pour le mois d’octobre sur Netflix. Rencontre avec son autrice timide souhaitant s’effacer derrière son œuvre plutôt que de lui piquer la vedette. Voilà pourquoi elle ne se montre en public qu’affublée d’un énorme masque, tiré d’un de ses personnages devenus culte grâce à son apparition remarquée dans le troisième tome.

Beastars est votre toute première série. Grâce à elle vous avez remporté les prix les plus prestigieux au Japon, vous êtes publiée à l’étranger et invitée au plus grand festival de bande dessinée du monde… Comment fait-on pour garder les pieds sur terre à seulement 25 ans ?

En réalité, comme je travaille pour un magazine hebdomadaire, je reçois en permanence des commentaires positifs ou négatifs sur mon travail. Je travaille donc avec une pression constante à laquelle j’ai dû m’habituer au cours du temps. Honnêtement, ce n’est pas si nouveau pour moi d’avoir cette pression de la vision du public, des critiques et des prix. Je le vis bien, même si cela demande beaucoup d’efforts pour ne pas décevoir les attentes sans cesse grandissantes.

À l’origine, vous ne vous destiniez pas au manga et aviez commencé des études de cinéma… Qu’est-ce qui vous a fait changer de voie ?

J’adore le cinéma depuis toujours, et ça m’a semblé être une voie naturelle pour moi. Par contre, je me suis rendu compte que pour faire un film, il fallait avoir beaucoup d’autres talents que juste celui de conteur et d’inventeur d’histoire. Il faut par exemple être capable de mener une grosse équipe, de convaincre des gens d’investir dans son film… et je ne pense pas être dotée de ces capacités. C’est pour ça que je me suis réorientée vers le manga. Ainsi, je peux tout contrôler et me concentrer sur la création de mon histoire. C’est ce que je préfère et que je maîtrise plus que tout.
Couvertures 1 a 4 Beastars

 

Pourtant quand on publie dans un hebdomadaire au Japon, ce n’est pas un métier solitaire, on est secondé par des assistants…

Oui, vous avez raison, c’est la norme d’avoir des assistants quand on travaille pour un hebdomadaire, sinon on ne pourrait jamais tenir ce rythme. Moi j’en ai trois, et je les fais venir trois jours par semaine. Ils s’occupent de faire les décors et de poser les trames.

Et du coup, ce n’est pas trop dur de déléguer, mener une équipe… Ce que vous redoutiez un peu dans le cinéma ?

C’est vrai que ce n’est pas tout le temps facile. Mais finalement ça me permet de donner des consignes à travers l’image, et ça, j’y arrive bon an, mal an, car c’est mon domaine de prédilection.

Et vivre de vos dessins, c’était quand même une idée qui vous trottait dans la tête depuis un moment ou vous n’aviez jamais envisagé d’en faire un métier ?

Je dessine depuis que je suis toute petite. C’est quelque chose qui est extrêmement naturel pour moi et qui ne m’a jamais quittée. J’ai fait un détour par le monde du cinéma, mais en réalité, pour moi, c’est un peu comme revenir au monde des origines quand je me suis lancée dans le manga.

Pourquoi ne pas vous être lancée directement dans le manga alors ?

En fait, au départ, j’avais plutôt l’idée que le dessin renvoyait davantage au métier de peintre ou d’illustrateur. Cela me semblait limité car ce que je voulais par-dessus tout, c’était raconter des histoires. La première idée qui m’est venue en tête était de faire des films, mais c’était finalement une voie qui ne me convenait pas…

Et que retenez-vous de vos études de cinéma ?

Le manga et le cinéma se ressemblent énormément. Même si ce sont deux façons différentes de raconter des histoires, il y a plein de choses qui les rapprochent. De mes études de cinéma, je retiens principalement l’utilisation de la photographie. La lumière est essentielle dans le cinéma, et je m’en sers beaucoup dans mes pages pour mettre en valeur les sentiments de mes personnages. Le jeu des acteurs est également quelque chose de primordial, et en manga on a la chance de pouvoir combiner tous les métiers du cinéma en un seul. Je suis à la fois metteuse en scène, costumière, scénariste…

Votre narration et votre sens de la mise en scène sont très inspirés et déjà très matures pour une première œuvre. Cela vous vient aussi du cinéma ?

Déjà, je suis très heureuse que vous me complimentiez sur les deux premiers volumes, car maintenant que j’ai beaucoup avancé dans l’histoire, j’ai un peu honte de ce que j’ai fait dans les premiers volumes. Je pense que j’ai surtout été influencée par la mise en scène cinématographique plutôt que par des mangakas. Certains réalisateurs m’ont évidemment influencée. Je pense par exemple à Wes Anderson, Michel Gondry, Denis Villeneuve ou encore Sylvain Chomet.

D’ailleurs, vous dites que vous vous êtes inspirée d’un acteur, Mathieu Amalric, pour votre personnage principal. C’est drôle d’entendre ça pour des Français, car si cet acteur est talentueux, ce n’est pas le premier qui nous vient à l’esprit quand on pense au cinéma. Pourquoi ce choix ? Qu’est-ce qu’il y avait d’intéressant à exploiter sur ce personnage et ce physique ?

J’ai découvert le travail de Mathieu Amalric par Le Scaphandre et le papillon, un film où il joue un personnage complètement paralysé qui ne peut faire passer ses messages et ses émotions que par les yeux. Et Legoshi est un personnage qui parle peu, il fallait donc que je trouve un moyen de le rendre expressif par le regard. Et je pense que c’est ce point-là qui m’a beaucoup intéressé dans le travail au niveau des yeux.

Et au niveau manga/BD au sens large, quels sont vos auteurs fétiches ?

En réalité, j’ai lu très peu de mangas… Une mangaka qui m’a beaucoup marquée durant mon enfance est malheureusement décédée il y a peu de temps : Momoko Sakura. Elle avait écrit Chibi Maruko-chan, un titre culte au Japon. J’apprécie aussi des auteurs français comme Nicolas de Crécy, Bastien Vivès ou Pénélope Bagieu.

Même vos toutes premières histoires mettent en scène des animaux anthropomorphes. Pourquoi avoir créé un monde uniquement peuplé d’animaux ? Ce n’est pourtant pas une pratique courante dans la bande dessinée japonaise.

Depuis toute petite, je ne dessine presque que des personnages animaliers. Je n’ai presque jamais dessiné d’êtres humains… C’était donc une évidence pour moi de réaliser mes mangas de la même manière.

Dans Beastars, ce sont donc des personnages qui vous accompagnent depuis l’enfance…

Beastars PlanchePas tous, mais certains personnages comme Legoshi, je les ai en tête depuis que mon adolescence. Ils ont évolué depuis, je leur ai petit à petit créé une histoire et Beastars est l’occasion parfaite pour les mettre en scène.

On doit vous le dire souvent, mais l’aspect graphique de votre série ressemble beaucoup à Zootopie et à Blacksad. Est-ce un hasard, une influence majeure ?

Je connais effectivement Blacksad. Je l’ai découvert quand j’étais au lycée et j’aime beaucoup cette bande dessinée. Pour Zootopia, c’est totalement un hasard, en réalité. Le film est sorti au Japon au moment où, de mon côté, j’avais enfin fini de préparer tout mon travail en amont du début de la prépublication. À cause de ce timing malheureux, on n’a pas arrêté de me dire que j’avais copié le film… Quoi qu’il en soit, ces deux œuvres ne m’ont pas influencée directement.

Le visuel de Beastars est très expressif, très vivant et fait passer beaucoup d’émotions. Comment faites-vous pour garder cette spontanéité, cette fraîcheur entre votre première esquisse et la version finale ?

Je travaille de manière traditionnelle. Je dois rendre 20 planches en 7 jours. Je crée la structure du chapitre en une journée, puis je fais l’encrage des personnages en deux jours. Les trois jours suivants, je fais venir mes assistants pour qu’ils s’occupent des décors et des trames. Le dernier jour, je rends mon travail à mon éditeur, et nous commençons à parler du chapitre suivant. Mes story-boards sont déjà très détaillés, car j’ai une idée précise du rendu final que je recherche dès cette étape. Pendant la finalisation des planches, je me concentre sur la conservation du dynamisme et des expressions d’origine.

BEASTARS © 2017 Paru Itagaki (AKITASHOTEN)

Merci à Victoire de Montalivet pour la mise en place de cette interview et aux deux interprètes de cette interview : Kim Bedenne et Kae Byoga.

Propos recueillis par Rémi I.

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