Pedrosa et Moreil font resplendir « L’Âge d’or »
Une princesse écartée du pouvoir par une mère machiavélique. Une communauté de femmes vivant une utopie collectiviste et unisexe en pleine forêt. Des révoltes paysannes dans tout le pays, dont le système féodal est au bord du gouffre. Et un livre mystérieux, magique, dangereux, révolutionnaire, intitulé L’Âge d’or… Voilà tout ce qu’on trouve, entre autres, dans le somptueux nouveau livre de Cyril Pedrosa (Portugal, Les Équinoxes…), imaginé avec sa compagne Roxanne Moreil. Curieusement absent de la sélection officielle du prochain festival d’Angoulême, L’Âge d’or est pourtant une des meilleures bandes dessinées de 2018, au scénario riche et palpitant et au graphisme flamboyant. Rencontre avec deux auteurs qui rêvent encore d’utopie. Et ça fait du bien.
L’Âge d’or est une aventure médiévale très politique. Quelle était votre première envie ? Le genre aventure ou la thématique politique?
Roxanne Moreil : Les deux en même temps. Quand l’idée a émergé, nous étions dans une période préélectorale très désabusée – c’était avant la présidentielle – où l’on avait du mal à espérer quoi que ce soit. Et un dessin de femme, qui deviendrait Tilda, est apparu dans les carnets de Cyril. Nous avons commencé à imaginer qui elle était… Et une histoire d’aventure s’est dessinée, comme un jeu entre nous d’abord.
Cyril Pedrosa : À chaque fois qu’on discutait, la politique s’injectait dans notre ébauche de récit. Avec deux questions centrales : comment en est-on arrivé là et pourquoi ne peut-on pas espérer un monde meilleur? À un moment, j’ai même réfléchi à dessiner une histoire de la gauche en France…
R.M. : Mais ce n’était pas très glamour !
Vous êtes-vous appuyés sur de vraies révoltes au Moyen-Âge?
R.M. : Nous avons lu un peu sur des révoltes paysannes en Allemagne, mais très vite nous avons préféré nous éloigner d’un quelconque contexte historique, pour se diriger vers la forme d’une fable. Car nous ne voulions pas parler de religion – chose pourtant incontournable au Moyen-Âge – et nous souhaitions parler de la place des femmes. Honnêtement, près les attentats contre Charlie, j’étais gavée de religion, je ne voulais plus en entendre parler…
C.P. : C’est sans doute aussi en raison d’un déficit d’utopie et d’espoir que le fait religieux a pris de plus en plus de place dans nos vies. Nous avons essayé d’imaginer autre chose.
Quelles oeuvres vous ont inspirés pour créer votre monde?
R.M. : J’ai digéré plein d’éléments de la culture populaire, des chansons de geste, des romans, Perceval, Le Nom de la rose… Mais nous avons décidé avec Cyril de construire un Moyen-Âge de fiction, sans date précise et bien plus coloré !
C.P. : Nous avions tout de même besoin d’un terrain connu, une imagerie commune et même quelques clichés pour démarrer. Et convaincre le lecteur que le monde que nous lui présentons a existé mais qu’un jour il a cessé d’exister.
R.M. : C’est une fable politique, un récit initiatique, mais aussi un conte. Le ressort de l’histoire, le livre L’Âge d’or, recèle une magie quasi arthurienne. Là aussi, on est dans le conte.
Visuellement, vous construisez des planches audacieuses et lumineuses, au découpage varié. Comment se sont construits ces choix?
C.P. : Ce n’est pas venu immédiatement. Dans une première version du début, j’avais choisi un trait assez réaliste dans une narration plutôt classique. Mais je sentis que ça ne fonctionnait pas idéalement et Roxanne me l’a confirmé.
R.M. : Je lui ai dit qu’il fallait qu’il diffuse plus de bizarre dans son dessin. J’avais envie de le voir faire des choses séduisantes et spectaculaires.
C.P. : Je suis alors retourné voir les tapisseries médiévales notamment, et je m’en suis inspiré pour composer certaines images. Brueghel aussi, m’a inspiré. D’ailleurs, ce peintre était aussi la source d’inspiration pour une fresque que j’avais réalisé avec Tanguy Jossic et qui avait donné lieu aux images de Panorama. Par ailleurs, j’ai trouvé une solution pour coloriser chaque trait afin de créer des compositions colorées sans que ce soit trop long. Mais ça demeure quand même très long !
Il y a un petit côté Disney dans votre trait par moments…
C.P. : J’ai été biberonné à Walt Disney, et j’ai même un peu travaillé pour eux. Cela fait partie de mon héritage, mais j’essaie de lutter un peu contre ça! L’idée générale pour L’Âge d’or était de proposer un album riche mais facile d’accès.
R.M. : L’Âge d’or, malgré des sujets importants comme le féminisme ou la lutte pour un monde plus égalitaire, est aussi un divertissement qui doit apporter du plaisir !
Le personnage de Tilda est tour à tour victime et moteur de l’intrigue. Comment la voyez-vous?
R.M. : Elle a beaucoup bougé au fil de l’écriture. Nous avons voulu jouer avec le stéréotype de la princesse de conte de fées. Au départ, on est prêt à la suivre, à la soutenir face à sa famille qui veut sa perte. Puis on découvre qu’elle n’est peut-être pas si pure. Et on verra dans le tome 2 que son destin est plus complexe qu’il n’y paraît…
C.P. : Méfions-nous des sauveurs ! Tilda est la clef du récit, mais elle n’est pas une héroïne solitaire. On va découvrir à quel point son engagement est puissant.
Propos recueillis par Benjamin Roure
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L’Âge d’or #1.
Par Cyril Pedrosa et Roxanne Moreil.
Dupuis/Aire libre, 32 €.
Images © Pedrosa/Dupuis – Photo © Chloé Vollmer-Lo
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