Pénélope Bagieu à la recherche de Cass Elliot
Enfin, Pénélope Bagieu prend son envol. Dans California Dreamin’, l’auteure de Cadavre exquis ou Stars of the stars (avec Joann Sfar) s’approprie la vie d’une autre, Cass Elliot, formidable chanteuse de The Mamas & The Papas. Avec habileté, elle évite l’écueil de l’autobiographie plate — choisissant même d’arrêter son récit avant la déchéance et la mort de l’héroïne. Et opte pour une narration éclatée, passionnante, et un trait au crayon, brut, plus émouvant que son graphisme habituel.
Pourquoi The Mamas and The Papas ?
Mes parents avaient leurs disques, mais je n’étais pas méga fan. Toutefois, j’ai toujours adoré Cass, sa voix très présente, son charisme, qui font qu’elle éclipse les autres. C’était comme mon personnage préféré dans un dessin animé !
Quel déclic vous a poussée à aborder une partie de sa vie en bande dessinée ?
En général, quand je vois la tête d’une personnalité, je me lance des “wikidéfis”, je consulte leurs fiches Wikipédia sur Internet, j’en parle à mes amis… Un jour, par hasard, j’ai dû me demander quand elle était morte, j’ai tiré le fil, et me suis intéressée à elle. Je n’arrêtais pas d’en parler autour de moi. Et pour cause, sa vie a été folle : elle a été mariée plein de fois, a été baronne… J’ai voulu broder sérieusement sur elle, en évitant le personnage public. Je souhaitais raconter ce qui s’était passé avant sa fiche Wikipédia !
Qui était Cass Elliot ?
Elle avait une détermination de petite fille, s’engageait dans la musique sans compromis. Elle a tenté de s’imposer à une époque où son physique n’était pas à la mode, et où l’on écoutait du rock et du folk — alors qu’elle aimait le jazz et l’opéra. Cass prenait plus de place que les autres, chantait plus fort. Elle a très tôt était médicamentée : il fallait la guérir de son surpoids, mais personne ne se demandait pourquoi elle mangeait tant…
Pourquoi vous intéresser autant à son entourage familial ?
J’adore les histoires de famille ! Et puis une grande partie de ce qu’elle fut se comprend au travers de sa relation avec ses parents, sa soeur et son frère. Elle a grandi dans un environnement musical, bordélique, chaleureux. Cass est devenue tonitruante, jusqu’à provoquer l’agacement. Mais elle avait aussi une grande fragilité, fut longtemps amoureuse d’un homme qui ne voulait pas d’elle. Elle cachait son désespoir sous des dehors joviaux.
A-t-il été aisé de reconstituer la mécanique humaine du groupe ?
The Mamas & The Papas était le lieu d’un véritable vaudeville, un ensemble prêt à exploser. Mettez ensemble un couple marié (John et Michelle), un chanteur tombeur de minettes (Denny), et son éternelle bonne copine, en fait éprise de lui (Cass)… C’était sûr que ça se passerait mal ! Pour moi, c’était un super ressort dramatique.
Vous êtes-vous beaucoup documentée ?
J’ai lu une biographie de Cass, des livres sur d’autres rockstars de l’époque, surtout pour mieux saisir l’ambiance du Village new-yorkais alors. Mais je ne voulais pas être paralysée par des connaissances. Plus il y avait de blancs dans cette histoire, mieux c’était ! Je pouvais ainsi les remplir librement.
Comment avez-vous traité de la chanson qui donne son titre au livre ?
J’ai écouté attentivement California Dreamin’, je l’ai décomposée simplement. Je voulais qu’elle soit un protagoniste à part entière, qu’elle revienne par bribes, comme un fil rouge. J’ai aussi joué avec la légende selon laquelle John avait promis la moitié des droits à Michelle, ou avec le personnage du producteur Lou Adler, à l’image fantasque – on lui doit notamment le Rocky Horror Picture Show.
Pourquoi ce virage graphique, avec un trait au crayon, plus brut?
J’avais envie de changement, d’un défi pour me changer les idées. J’avais remarqué que mes crayonnés perdaient en spontanéité quand je les passais à l’encre. J’ai alors proposé à mon éditeur de les garder tels quels, ce qu’il a accepté. Pour moi, c’était terrifiant, car je ne pouvais plus tricher en me servant de Photoshop sur un ordinateur. J’ai dû apprendre à lâcher prise, à accepter un trait imparfait. Cela m’a permis, pour la première fois, d’avoir des originaux à montrer [ils sont exposés à la galerie parisienne Barbier & Mathon jusqu’au 11 octobre 2015, ndlr] ! Cela m’a aussi aidée à façonner une histoire plus intimiste. Je réfléchissais davantage à ce que j’allais dessiner avant de passer à l’action, je concevais plus soigneusement les décors.
Quels sont vos projets ?
Je vais me remettre à l’ordinateur, car j’ai envie de couleurs, et d’expérimenter de nouvelles choses — peut-être la peinture ! Je travaille actuellement sur un polar poétique scénarisé par le romancier Timothée de Fombelle, qui se passe à New York dans les années 1930. Il y aura des poursuites en voiture, des secrets, et des histoires d’amour…
Propos recueillis par Laurence Le Saux
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California Dreamin’
Par Pénélope Bagieu.
Gallimard BD, 24€, le 24 septembre 2015.
Images © Gallimard BD / Simoné Eusebio.
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