Pereira prétend
Il fait peine à voir, le Doutor Pereira. Ce veuf très grassouillet — pour ne pas dire obèse — traîne sa solitude dans les rues de Lisbonne et dialogue trop souvent avec le portrait de sa femme, décédée peu de temps après leur mariage, de longues années plus tôt. A la fin des années 1930, en pleine dictature lazariste, il occupe son temps en traduisant des textes français pour la page culturelle du Lisboa, un journal pas vraiment progressiste.
Son quotidien bascule à la lecture d’un article signé d’un certain Francesco Monteiro Rossi. Pereira le retrouve, lui propose de rédiger des nécrologies pour lui. Seulement voilà, le jeune homme en question a une conscience politique en expansion, et « contamine » le Doutor. Ce dernier se sent tiraillé, supporte de moins en moins de voir battre et enlever des gens dans la rue par la milice, et remet en question la ligne éditoriale de son journal…
Pereira prétend est d’une grande intelligence, et d’une délicatesse infinie. Du roman d’Antonio Tabucchi, Pierre-Henry Gomont (Les Nuits de Saturne, Rouge Karma…) a façonné une bande dessinée tendre et puissante, servie par un texte aérien et implacable à la fois. Doux et expressif, son graphisme se transforme au fil de la pensée de Pereira — dont les différentes « âmes », parfois en contradiction, prennent la parole successivement ou en même temps. Ses couleurs rendent superbement la chaleur des paysages et de l’architecture lisboètes. A petites touches, l’auteur esquisse le poignant portrait d’un homme en mutation qui, tout simplement, prend conscience du monde trouble dans lequel il vit.
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