Les BD ou films de Riad Sattouf (Retour au collège, Les Beaux Gosses) captent comme nuls autres l’âge bête (ou niais), ce passage de l’adolescence au monde des adultes. Dans un autre registre avec un titre à contre-emploi, à bonne distance entre autobiographie, humour et fantaisie, Sandrine Martin brosse le portrait de la fille qu’elle fut (ou que toutes les filles furent) dans Petites Niaiseuses : à l’ombre d’une mère hyperactive et stressée, l’ado boutonneuse mate Beverly Hills, va à sa première boom, subit le rejet des plus populaires puis vit le quotidien étriqué d’une jeune étudiante entre Paris et Berlin…

Alors oui, les BD traitant de ce moment crucial sont légion. On est bien loin du désenchantement mélancolique façon Daniel Clowes (Ghost World) ou des pochades malignes de Blutch (Le Petit Christian). Sandrine Martin (La Montagne de sucre, Niki de Saint Phalle, le jardin des secrets) a pour elle des textes soignés où les mots, matière même de changement, cristallisent la petite perte des illusions. Ils viennent mettre de la distance là où le vécu est immédiat et peu lisible. À tel point qu’ils sont parfois trop écrits. Autre atout des Petites Niaiseuses, son sens du rythme, car la BD déroule – mais en prenant le temps – des tranches de vie sans jamais ennuyer. Les histoires sont courtes, vives et percutantes, dans un bel équilibre avec le texte. C’est que Sandrine Martin sait raconter : sans emphase ni nostalgie plombante, sur un ton tantôt badin, tantôt grave. Le graphisme, évocateur, est fin et léché, quand les compositions découpent la page pour l’aérer ou illustrer le temps qui passe. Si l’inventivité graphique est de mise, elle sait aussi être pudique. Et finalement, si l’expérience de cette fille n’est pas complètement fidèle à celle de Sandrine Martin, qu’importe, c’est bien un double réussi à valeur universelle. Un bel album.