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Philippe Druillet, héraut du 9e art

16 janvier 2017 |

dscn1692À 72 ans, Philippe Druillet, le fondateur de Métal Hurlant et des Humanoïdes Associés, n’en a pas fini avec la bande dessinée. Auteur visionnaire de SF à la bibliographie impressionnante (Loane Sloane, La Nuit, Salambô…), l’homme est aussi un artiste touche-à-tout, qui a cassé les codes de la BD par ses compositions baroques géantes pour, in fine, lui donner un nouveau souffle. Du cinéma à l’opéra en passant par la sculpture et la peinture, celui qui a inspiré George Lucas nous a redit son amour de la BD à l’occasion de la sortie d’une splendide monographie consacrée à l’ensemble de son œuvre. L’homme est volubile, encore plein d’appétit pour son medium, toujours admiratif du talent de ses acteurs.

Quels sont les moments clés de votre entrée en BD ?

Avec l’école belge, dont j’étais un grand lecteur (Tillieux, Franquin, Hergé, Jacobs), j’ai appris que l’on pouvait créer des mondes et que des gens pouvaient s’exprimer avec un simple crayon ou une plume. De manière inconsciente ou confuse, j’ai senti assez tôt que la BD était un art majeur. C’est aussi la découverte de Barbarella, l’héroïne créée par Jean-Claude Forest en 1962, et la rencontre avec Franquin en 1964. La période Pilote, à partir de 1969, est  aussi un moment important. Il fallait créer le renouveau en BD.

Goscinny me disait : « Je ne comprends pas votre travail mais j’en sens la qualité. »

druillet-2À cette époque, je me dis que je ne peux pas être le seul à penser ce que je pense. Je me souviens que les fans écrivaient au journal, c’était une avalanche de lettres : c’est du « délire absolu ces planches », y lisait-on. Rendez-vous compte : 65 pages par semaine, entre 250 000 et 1 million d’exemplaires vendus. Ensuite ce sont les journalistes, les lecteurs, les éditeurs, les libraires, en somme les gardiens du temple qui ont porté les voix des « faiseurs de Petits Miquets ». De grands dessinateurs, des passeurs m’ont aussi encouragé. Goscinny me dit par exemple à l’époque : « Je ne comprends pas votre travail mais j’en sens la qualité. »

Par votre oeuvre, vous avez toujours milité pour la BD en tant qu’art à part entière. Pourquoi ?

J’ai grandi dans un monde sans culture. J’ai fait mes humanités aux puces de Paris et j’ai construit ma culture là-bas. J’avais un appétit, j’étais curieux et on m’a d’abord dirigé vers la photographie. Puis je suis devenu un obsédé de la bande dessinée. J’avais besoin d’image, de rêve et la BD c’étaient les écrans de cinéma chez vous, un outil d’évasion absolu et la possibilité de reconstruire des systèmes narratifs. Elle offre un monde d’images, mais c’est aussi un mystère, comme un art sublime du mensonge.

Mes premiers collectionneurs sont des gens issus de l’art contemporain.

Je suis un homme de BD, je le revendique et je me suis toujours battu pour qu’elle devienne un art majeur, pour que soient inscrits sur les albums le nom du lettreur, du coloriste. Il me paraissait d’ailleurs évident que le dessin allait investir les salles de ventes. Mes premiers collectionneurs sont d’ailleurs des gens issus de l’art contemporain. Cela prouvait que nos dessins avaient de la valeur, beaucoup même. C’est bien simple, avec la BD, vous pouvez tout faire. La vérité au fond, et c’est la raison pour laquelle la BD n’a pas à faire de complexe, c’est que les planches tiennent la route en dehors des albums, elles se suffisent à elles-mêmes.

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Est-ce que votre personnage fétiche, Loane Sloane, est votre double fantasmé?

Loane Sloane, ce n’est pas moi tout en l’étant un peu. Une sorte d’Ulysse, voyageur de l’espace. C’est un salaud, un humaniste et un anarchiste. Pas une ordure mais un homme capable de tuer. Quelqu’un de complexe, comme la nature humaine. Il paraît peu fréquentable mais si on creuse, il a certaines valeurs. Une aventure de Sloane sortira l’année prochaine chez Glénat et c’est Dimitri Avramoglou qui s’y colle. Nous avons eu un brief sérieux au sujet du personnage et il a tout compris. Quand correction il doit y avoir, elles ne sont pas difficiles. Du style, Sloane ne fume de clopes, c’est impossible. Mais je me rends compte d’une chose. Quand on a bien construit un personnage, invariablement,  il finit par vous échapper et vous ne pouvez rien y changer.

J’ai eu un accident et je ne peux plus me servir de ma main ! Alors forcément, dans ce contexte, le livre est devenu un coup de booster terrible.

Vous avez un style propre qui pourtant fourmille d’influences. Vous  les revendiquez et vous êtes même admiratif de leur travail.

Oui, je me suis toujours inspiré, consciemment ou pas, de mes lectures et de leurs auteurs. J’ai beaucoup puisé dans ces rencontres. En littérature, c’est Flaubert, Maupassant, Balzac, Stendhal, Lovecraft, Moorcock. Au cinéma, Fritz Lang, Méliès, Cocteau. Mais aussi les peintres du Quattrocento ! En BD, vous avez de grands noms comme Sattouf, Blain, Blutch, Sfar… Je ne suis jamais jaloux, bien au contraire, j’admire tous ces créateurs, des génies de leur art ! D’ailleurs, je trouve que la BD se porte très bien en termes de création. Ce que l’on appelle « roman graphique » donne de belles choses.

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Quel regard portez-vous sur la monographie exhaustive consacrée à votre carrière ?

Dans sa conception, je voyais que le livre allait être beau, bien mis en page et puis je me suis dit, cinquante ans de carrière, franchement, je m’en fous. Mais depuis quelques mois, j’ai eu un accident et je ne peux plus me servir de ma main ! Alors forcément, dans ce contexte, le livre est devenu un coup de booster terrible. Il me requinque pour créer à nouveau. J’ai fait des tonnes de dessins, j’ai dépassé plus de 10 000 œuvres et j’ai eu la chance que l’éditeur Glénat, en plus de soigner les éditions, m’ait fait connaître dans neuf pays. Je dois être le pire critique de mon travail. Je doute toujours et quand je regarde cette monographie, je n’en reviens pas, je suis même étonné et surpris par ce que j’ai pu réaliser.

Je suis sous acide de façon naturelle

Comment travaillez-vous ? Il paraît que vous pouvez entrer en transe au moment de dessiner.

Sachez-le, je suis sous acide de façon naturelle. Mon grand ami Jean-Pierre Dionnet, l’âme de Métal Hurlant, me  qualifie d’ailleurs d’« enlumineur paranoïaque ». Quand vous êtes face à la page, vous habitez avec votre inspiration et vous êtes comme un architecte. J’ai une idée de la mise en page et de la narration, mais je ne fais pas de storyboard comme Bilal ou Tardi. Quand je dessine, je suis en transe et aussitôt la planche finie, je veux attaquer la suivante. Je commence par le haut et me dirige vers le bas. Il se produit toujours quelque chose de miraculeux la planche finie. Je pense parfois au travail d’un bénédictin qui, tel un artisan, mettrait en image l’idée folle d’un auteur. Mais depuis mon accident, je souffre de ne pas pouvoir dessiner. Même dans mes moments de calme, si je n’ai pas un crayon ou un pinceau à portée de main, je pète un câble.

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Est-ce votre plus grande fierté, finalement, d’avoir contribué par votre oeuvre à anoblir la BD ?

J’aime ce mot « anoblir » car vous ne pouvez pas trouver meilleure expression ! Oui, j’ai toujours considéré la BD comme un art avec un grand A. D’ailleurs, il existe un club Tintin à l’Assemblée Nationale qui fait beaucoup parler et débattre ses membres !

Propos recueillis par M. Ellis

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Philippe Druillet, monographie.
MEL Publisher, 340 pages, 49 €.

Vuzz – intégrale.
Glénat, 144 pages, 19,50 €.

Yragaël – Urm le fou – intégrale.
Glénat, 128 pages, 24,50 €.

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