Philippe Francq toujours à la barre de Winch
Largo Winch a 18 ans et, pour fêter sa majorité, s’offre une virée du côté du cinéma, devant la caméra de Jérôme Salle. A l’écran, le milliardaire rebelle semble destiné à un avenir toujours aussi brillant. Pour la plus grande fierté de son père graphique, Philippe Francq, qui se voue exclusivement à ses aventures. On pourrait penser le patriarche vexé de voir son fiston voler de ses propres ailes sur grand écran. Mais ce dessinateur ultra-précis constate que son héros lui a échappé depuis longtemps, pour être accaparé par… le public !
Jean Van Hamme arrête de scénariser ses séries phare – XIII et Thorgal. Craignez-vous qu’il en fasse de même pour Largo Winch ?
Non, car les situations sont différentes. Thorgal compte déjà une trentaine d’épisodes signés de sa main ! Quant à XIII, la saga ne pouvait pas durer une fois que l’identité de XIII était dévoilée. Largo Winch repose sur un modèle différent. C’est une série classique, façon Tintin ou Spirou, vouée à être déclinée en épisodes. Et l’actualité économique qui nourrit les scénarios est suffisamment riche pour en alimenter de nombreux. D’ailleurs, Jean écrit déjà le prochain tome. Il m’a promis une bonne histoire à tiroirs dont il a le secret.
Voilà 18 ans que vous dessinez Largo. N’avez-vous pas envie de changer d’univers ?
La question ne se pose pas car cette série est suffisamment diverse pour combler mes envies. À part le volet économique, récurrent, le type de narration ou les lieux peuvent changer régulièrement. Le seul scénario qui pourrait me donner envie d’abandonner Largo pendant un an serait une histoire d’amour romantique, mettant l’accent sur l’émotion. Une belle romance qui finirait mal façon Route de Madison ou Roméo et Juliette. J’aimerais tirer des larmes aux lecteurs. Mais je ne vois pas l’intérêt de changer de héros pour un ersatz de Largo.
Ce 16e tome de Largo Winch se déroule à Hong Kong, comme le film. Coïncidence ou judicieuse coordination ?
C’est un hasard total. J’avais déjà proposé à Jean qu’il envoie Largo en Chine en 2000. Il était logique que le groupe Winch s’intéresse à cet empire économique. Mais le 11-Septembre a eu lieu, et il a souhaité écrire une histoire se déroulant sur le sol américain. Du coup, le diptyque chinois n’a démarré qu’en 2005. Nous avons longtemps hésité entre deux décors : Shanghai ou Hong Kong. Nous avons choisi cette dernière pour l’écho qu’elle rencontre dans nos imaginaires (trafics divers, notamment de drogue…) et sa position géographique.
D’où est venue l’idée de cette impressionnante scène de fuite en parapente, en plein cœur de la ville ?
Nous avons déjà montré beaucoup de fuites en hélicoptère. Alors cette fois, nous avons innové. Il y a un hydravion et un parapente. Mais je n’ai jamais vu de parapentistes dans Hong Kong, c’est totalement inventé…
Largo Winch, le film, sort en salle en décembre. Avez-vous été consulté pour le choix de l’acteur qui interprète Largo ?
Non, car l’équipe du film connaît son métier et sait qui est disponible. Et puis il fallait que cet acteur soit choisi selon les souhaits du réalisateur, Jérôme Salle. Jean et moi avons seulement donné des conseils qui ont été suivis. J’ai par exemple suggéré de changer la coupe afro de Tomer Sisley pour le mettre plus en valeur. Pour le second film qu’il prépare, Jérôme Salle m’a aussi demandé le nom des endroits dont je me suis inspiré pour dessiner La Forteresse de Makiling et L’Heure du tigre. Jean a été beaucoup plus impliqué que moi car il a relu les scénarios.
Qu’avez-vous pensé de Tomer Sisley dans la peau de Largo Winch ?
Des lecteurs ont critiqué ce choix à cause d’un manque de ressemblance. Je pense qu’il aurait été impossible de trouver un comédien aux traits identiques à ceux de Largo. À mes yeux, Tomer incarne bien Largo. Il bouge comme un félin, fait lui-même ses cascades, se bat bien et use d’un sourire craquant. En le voyant, on oublie le personnage de la BD.
Avez-vous aimé le film ?
Oui. Il m’a surpris car l’histoire diffère des premiers tomes, qui lui servent de base. Le montage est dense et bourré d’action. Le film dure moins de deux heures, mais semble beaucoup plus riche.
Avez-vous l’impression que votre héros vous échappe ?
Je pourrais avoir cette impression depuis longtemps, car Largo appartient aux lecteurs. Jean et moi ne pouvons pas faire n’importe quoi avec Largo : chacun a son idée du personnage. J’ai même des réactions de lectrices selon qu’il porte des caleçons ou des slips !
Propos recueillis par Allison Reber
Lire aussi la critique du film et l’interview de Tomer Sisley.
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Largo Winch #16 Par Philippe Francq et Jean Van Hamme. Dupuis, 10,40 €, le 5 novembre 2008.
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Images © Dupuis
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