Pico Bogue, garnement irrésistible
Tout est charmant chez Pico Bogue, le nouvel enfant terrible de la BD. Ses réponses gentiment impertinentes sont craquantes, sa bouille expressive est attirante, son abondante crinière rousse est tout simplement irrésistible. Même ses auteurs sont attachants. Car derrière ce gamin qui joue dans la même cour que Malfada ou le Petit Nicolas, se cachent un duo peu commun : une mère et son fils. Alexis Dormal, 32 ans, prête son crayon virevoltant et minutieux à l’humour tendre et malin de sa génitrice, Dominique Roques.
La complicité entre ces deux-là est palpable, lorsqu’on les écoute finir les phrases de l’autre ou s’arrêter dans une explication pour s’assurer que le second est du même avis. On retrouve la douceur et l’intelligence de Pico chez ses auteurs. Seule différence : ces derniers n’ont pas une aussi volumineuse touffe de cheveux
Pico Bogue évolue dans une famille très traditionnelle, avec le papa, la maman, la petite sœur. Est-ce une BD nostalgique ?
Dominique Roques : Non, c’est ce que l’on a vécu. Et puis je ne souhaitais pas marquer l’histoire de la famille par des drames que l’on puisse dater. Je voulais conserver une touche intemporelle.
Pico s’interroge sur tout, tout le temps et il est souvent question de vie et de mort derrière les histoires drôles.
D. R. : On retrouve la même chose dans Mafalda ou Calvin & Hobbes, et c’est ce que j’ai toujours aimé. Tout le monde philosophe en vérité, à la boulangerie, à l’épicerie… Mon boucher prenait des cours de philosophie ! J’aime les histoires ironiques ou cyniques. Et j’aime aussi pouvoir enchaîner avec un gag très cucul…
Alexis Dormal : Ce tempérament fougueux, Pico l’arbore dans sa tignasse. Extérieurement, ma mère ou moi n’avons pas la même touffe de cheveux, mais intérieurement, nous lui ressemblons.
Que vouliez-vous raconter à travers le quotidien de ce petit garçon gentiment effronté?
D. R. : En fait, Pico Bogue est un peu autobiographique. Je n’ai pas vraiment l’impression d’inventer mais plutôt de continuer ma vie, en m’incarnant dans d’autres personnages. Pour bien expliquer, il faudrait que j’emploie une métaphore, que j’ai baptisée « de l’escalier ». C’est toujours quand on est dans l’escalier que l’on se souvient de ce qu’on voulait dire à la personne que l’on vient de quitter. Étant par nature très lente, ce n’est que maintenant que je sais ce que j’aurais voulu répondre aux discours que les adultes me tenaient lorsque j’étais enfant, et qui me semblaient illogiques. Pico me permet de me venger!
Pico Bogue est une série certes humoristique, mais aussi pleine de tendresse…
D. R. : Quand Alexis et moi avons imaginé Pico, nous traversions une période familiale difficile. Nous avions besoin de rire, de donner de la gaîté. Nous nous sommes saisis de tout ce qui nous énervait autour de pour nous en amuser, et nous faire du bien.
A. D. : Pico rencontre des difficultés ou des contrariétés, mais essaye toujours de les affronter. Même si c’est peine perdue, il trouve toujours un moyen de rebondir. On se sent nous-mêmes comme lui. On regarde avec la même candeur les adultes qui disent savoir tout sur tout. Forcément, nous nous sentons décalés par rapport à ces gens très assurés. Ce qui nous réconforte, c’est de nous apercevoir, lors des séances de dédicaces, que les gens se reconnaissent dans notre perplexité.
Dominique Roques, pourquoi avoir démarré la bande dessinée à 60 printemps passés ?
D. R. : À cause d’Alexis. Son école de cinéma achevée, il n’avait pas envie de diriger une équipe de tournage et s’est remis à dessiner. Mais il ne parvenait pas à trouver son style. Je me suis décidée à développer pour lui un univers, afin qu’il trouve sa voie. C’est un peu prétentieux, mais…
A. D. : … c’est qui m’a permis de trouver mon style ! Les études n’encouragent pas à développer sa touche personnelle. Quand ma mère m’a proposé d’écrire des histoires, j’ai tout de suite accepté. Je me suis toujours régalé à lire sa correspondance. En découvrant ses dialogues, si bien écrits, j’imaginais de belles mises en page. Je me suis efforcé de les coucher sur papier. Mon trait était auparavant réaliste, mais mou à force d’essayer de le rendre beau. Depuis que je dessine Pico Bogue, je n’essaye plus de faire joli, mais de trouver l’expression juste, vivante. Lorsque je m’installe à ma table à dessin, j’ai désormais l’impression de retrouver un ami.
Dominiques Roques, êtes-vous facilement devenue scénariste de bandes dessinées?
D. R. : Disons que cela m’a demandé beaucoup de travail. Avant, j’étais comme on dit mère au foyer, même si je passais plus de temps à lire qu’à faire le ménage. Pour créer l’univers de Pico, j’ai travaillé pendant deux ans. J’ai dû écrire au moins 300 sketches avant de pouvoir réaliser le premier tome. La conception du deuxième a été plus aisée. Désormais, nous savons abandonner une idée de gag qui ne fonctionne pas plutôt que s’obstiner, et l’on gagne ainsi beaucoup de temps. J’ai tout de suite su quel univers je voulais inventer. Alexis et moi sommes des amoureux de Sempé, Mafalda, Astérix, Calvin & Hobbes et des Peanuts. Naturellement, ces lectures ont influencé notre travail.
Comment travaille-t-on en famille?
A. D. : Au départ, nous nous sommes chicanés. Nous n’étions pas toujours d’accord sur une chute, par exemple. Et puis on se pardonne et l’on poursuit. Il me semble difficile d’écrire des histoires humoristiques si l’on ne se connaît pas bien, car il faut tomber d’accord sur le déroulement du gag. Cela suppose une bonne entente.
Alexis Dormal, Pico Bogue est-il apparu facilement sous votre plume ?
A. D. : Oui, car lorsque j’étais à l’école de cinéma, je me représentais avec une grosse touffe de cheveux. Ce premier personnage a sans doute inspiré ma mère. Une fois le physique de Pico Bogue cerné, il a fallu beaucoup travailler. Parce que cette série repose sur un univers plutôt que sur un seul héros.
Votre dessin minutieux et rond correspond parfaitement à l’humour fin et tendre de votre maman…
A. D. : Dès le départ, je souhaitais des personnages ronds, vivants, à la Sempé, pour accompagner les textes de ma mère. Le petit visage de Pico est venu tout naturellement. L’important était que mon dessin soit très expressif, qu’il traduise la vie. J’aime jouer sur des émotions subtiles comme le remords ou la tristesse. En même temps, mon trait est suffisamment élastique pour je puisse faire exploser mes personnages. J’ai toujours le choix, pour la chute d’un gag, entre un Pico rêveur et un Pico casse-cou. Le lecteur ne sait jamais si la fin sera douce ou explosive.
Propos recueillis par Allison Reber
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Pico Bogue #2.
Par Alexis Dormal et Dominique Roques.
Dargaud, 10,40 €, le 13 mars 2009.
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Images © Dormal-Roques/Dargaud
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