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Pierre-Henry Gomont sur la route avec Einstein

21 décembre 2020 |

gomont_portraitQuand on a entre les mains le cerveau d’Albert Einstein, comment résister à la tentation de le faire étudier ? En 1955, l’anatomopathologiste Thomas Stolz Harvey a prélevé l’organe du savant décédé, contre sa volonté. Partant de ce curieux fait divers, Pierre-Henry Gomont (Pereira prétend, Malaterre…) imagine dans La Fuite du cerveau une fantaisie débridée, qui évoque à la fois les comédies américaines des années 50, un road-movie, ou encore une réflexion sur la pensée. D’un trait vif et délié, il tisse une aventure rythmée, et résolument folle. Collant entre les pattes d’un médecin à l’éthique élastique Einstein en personne, mais le crâne ouvert.

Après le magnifique Malaterre, comment passe-t-on d’un récit aussi personnel à une aventure loufoque ?

J’ai un réel goût pour la bande dessinée d’humour, je trouve qu’elle fonctionne merveilleusement bien. L’humour réveille le dessin, le rend très signifiant. Ce n’est pas pour rien que le plus grand dessinateur de BD d’humour est le plus grand dessinateur tout court, à savoir Franquin. Avant de m’attaquer à cette histoire, j’ai hésité à faire un album muet, pour mettre le trait au centre. L’un des plus grands albums BD jamais faits est pour moi Pinocchio de Winshluss, qui est muet, et truffé d’idées. Mais comme La Fuite du cerveau traite de la façon dont on pense, et dont les mots et les images naissent, je me suis dit que ce n’était pas le bon récit pour ça. J’avais besoin de dialogues. C’est sans doute le plus léger de mes livres, mais aussi le plus formel. J’y explore la manière dont les idées viennent, comment le dessin véhicule des concepts.

Comment avez-vous agencé la réalité et la fiction ?

J’ai voulu faire de cette bande dessinée une déclaration d’amour à la fiction, qui me paraît plus forte que la réalité ou le témoignage – d’ailleurs, même de Malaterre, basée sur mon histoire personnelle, j’ai fait une fiction. Il y a un grand écart entre Malaterre et La Fuite du cerveau, comme pour signifier à mes lecteurs que chaque bouquin va être différent. Je ne souhaite pas perdre la griserie ressentie en début d’album, quand on ne sait pas si on va réussir ou pas. La cinéaste Claire Denis dit que raconter des histoires, ce n’est pas quelque chose que l’on muscle. Et en effet, on est aussi démuni la dixième fois que la première fois, si l’on choisit de ne pas refaire la même chose.

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Comment avez-vous entendu parler de cette abracadabrante histoire ?

Par le biais d’une série d’émissions documentaires de France Culture sur le cerveau, écoutées en podcast en 2018, alors que je faisais les couleurs de Malaterre. J’avais d’abord en tête un ouvrage didactique, et puis je me suis dit que ce serait ennuyeux. Cette anecdote sur le cerveau d’Einstein m’a interpellé, j’ai eu envie de l’utiliser. On en connaît le début et la fin : Thomas Stolz Harvey a pris l’organe en 1955 et l’a rendu en 1992. Mais que s’est-il passé entre deux ? On ne sait pas. Le médecin n’a pas mené d’études, s’est échappé tout le temps. Pourquoi a-t-il finalement pris ce cerveau ? Mon interprétation, c’est qu’il avait un rapport particulier à la relique, qu’il voulait garder un morceau du grand homme avec lui. À la manière de l’écrivain Jean Echenoz, qui a élaboré des fictions biographiques de Maurice Ravel ou Nikola Tesla, je me suis approprié cette vie.

fuite-gomont2De quelle façon vous êtes-vous documenté ?

Il est compliqué de parler d’Einstein sans connaître son parcours, ses travaux. Je me suis aussi intéressé aux avancées récentes en sciences cognitives, pour traiter du cerveau. Je suis parti aux États-Unis, comme j’étais allé au Portugal pour Pereira prétend ou au Gabon pour Malaterre. C’est pour moi un plaisir d’aller capter les ambiances et l’architecture locale. J’ai appris ce métier en dessinant dans la rue et le métro, et je continue. Là, j’ai adopté un trait plus touffu, en référence à des dessinateurs américains des années 1960 comme Harvey Kurtzman.

Qui est votre héros, Stolz ?

C’est un archétype, un loser attachant comme peut l’être Pierre Richard au cinéma, avec un côté un peu truqueur, vendeur de bagnoles. Il est très éloigné, même physiquement, du vrai Thomas Harvey – distant, hautain, qui a perdu ses amis et sa famille. Pour l’élaborer, j’ai utilisé des « ressources américaines » : un look à la Nixon, une dose de l’acteur Elliott Gould.

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De quelle façon avez-vous travaillé ?

Je fonctionne sans plan, sans savoir où je vais. Je crée le story-board au fur et à mesure, je refais beaucoup. Mais cela permet à mes idées de naître du dessin. Les personnalités des héros naissent des mimiques que je leur donne, et je les découvre au fil du crayon.

cerveau_4Le rythme semble essentiel dans cet album…

Oui, je voulais que ça bouge, que ça aille vite, pour donner un aspect comique et que ça vive le plus possible. J’aurais toutefois aimé que le livre soit un peu plus court, j’aurais dû élaguer davantage. Mais c’est plus fort que moi, je fais toujours trop long !

Quel est votre prochain projet ?

Une histoire en trois tomes, mais plus courts. Autour d’une course de chevaux à Sienne. J’ai l’angle, mais pas encore l’intrigue ! Je me documente, je cherche les personnages…

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La Fuite du cerveau
Par Pierre-Henry Gomont.
Dargaud, 25€, le 18 septembre 2020.

Images © Dargaud.

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